Saleté de chimère | Solo

Les pensées du voyageur se libéraient peu à peu des visions vikings qui le hantaient, alors qu'il traversait tranquillement le village vers la direction qui lui semblait être la bonne. Par rapport au nord, l'est c'est bien vers la droite non ? Enfin, il verrait bien, il commençait à peine à dé-saouler de toutes manières. Quand il avait demandé quelque chose de fort, il ne s'attendait pas vraiment à quelque chose d'aussi fort à vrai dire, ce breuvage lui avait complètement retourné l'esprit, même si la gloire guerrière qu'il avait ressenti durant cette petite vingtaine de minutes d’ébriété lui avaient fait du bien au moral. Aller se battre contre un monstre légendaire c'est une chose, le faire en étant persuadé d'accomplir une prophétie millénaire et de libérer le monde d'un joug maléfique, c'est autre chose. Heureusement pour lui, la descente se faisait aussi rapidement que la montée, les effets de l'alcool se dissipaient donc assez rapidement. Fort heureusement pour lui, ses sens ne seraient pas inhibés et il éviterait de se jeter vers une mort certaine, convaincu de rejoindre le hall des guerriers festoyant dans l'au delà. Une once de doute vint cependant l'envahir, n'aurait il pas mieux valu qu'il se lance dans cette entreprise accompagné d'autres voyageurs ? Son réseau de connaissances était loin d'être vaste certes, mais il valait toujours mieux mener un combat à plusieurs plutôt que seul. Il essayait de se convaincre que tout irait bien en se disant que si le sorceleur lui avait confié cette quête à lui, c'est qu'il avait décelé un potentiel, un petit quelque chose lui faisant croire que l'invocateur de masque se débrouillerait parfaitement tout seul. A moins que ce ne soit juste un vieux fou dont les exploits d'antan sont oubliés de tous et qui a refilé cette quête au premier pigeon venu pour s'en débarrasser, qui sait après tout.


Quoi qu'il en soit, il ne tarderait pas à le découvrir lui même. Il était trop tard pour se défiler de toutes façons, son voyage pour en arriver là lui avait pris bien trop de temps pour rebrousser chemin désormais. Sans compter que c'était ça le jeu finalement, pour acquérir un minimum de notoriété, pour être pris au sérieux, il faut savoir prendre des risques. Et ces risques, il était prêt à les prendre. Son égo était beaucoup trop grand pour continuer à se faire marcher sur les pieds par la moitié des personnes qu'il croise, il y avait certes un ordre naturel des choses à respecter, mais c'était trop pour lui. C'est ainsi, aussi déterminé que nerveux, qu'il sortit enfin du village. Une immense plaine de sable s'étalait à perte de vue devant lui, parsemée de coquillages aux tailles variées, allant de la taille standard à plusieurs mètres d'envergure, ressemblant fortement aux habitations du village. Le décor ressemblait à une immense plage, sans étendue d'eau aux alentours. Se déplaçant avec toujours autant de difficultés sur le sol à la limite du marécageux, Drasur s'enfonçait peu à peu dans les terres entourant le village, ce dernier rétrécissant de plus en plus derrière lui à mesure de son avancée.


Après un peu plus d'une heure de marche, à se demander si sa présence ici était vraiment justifiée ou si le seul monstre sévissant dans les environs était l'imagination débordante de ses habitants, Drasur aperçut enfin quelque chose digne d’intérêt au loin. S'en approchant hâtivement, espérant enfin pouvoir mettre fin à son ennui, le jeune homme regretta rapidement sa hâte, remplacée par un dégoût et une envie de vomir bien prononcés. La forme qu'il avait aperçut s'avérait être la moitié d'un fameux cheval-phoque brutalement coupé en deux baignant dans un mélange d'urine et d'hémoglobine. C'était d'ailleurs la moitié arrière du bestiau qui se trouvait inerte au sol, des nageoires de phoques déchiquetées, des entrailles répandues au sol par la partie basse du ventre de l'animal, désormais à l'air libre.

Tentant comme il le pouvait de refouler ses reflux gastriques qui n'allaient pas tarder à s'ajouter au cocktails de fluides corporels déjà horrible au sol, le jeune homme s'approcha de la carcasse. Il essaya alors de l'analyser comme il le pouvait, le sang au sol était encore liquide. Il toucha alors la peau grisâtre de l'animal qui s'avéra être encore tiède. La boucherie qui avait eu lieu ici ne datait donc pas tant que ça, quelques heures maximum avaient dû passer. Cela n'aidait pas vraiment plus l'invocateur qui était loin d'être un fin pisteur, aucune autre trace environnante ne pouvant être susceptible de l'aider plus que ça.


Puis, un hurlement le tira de sa réflexion. Un hurlement bestial, croisement entre la trompette d'un aigle et le vrombissement d'un moteur de camion. Effrayé par ce bruit aussi soudain qu'assourdissant, le jeune homme se leva rapidement avant de lever les yeux au ciel. Il pu alors apercevoir la créature qu'il recherchait, tournant autour de lui comme un vautour prêt à fondre sur son prochain repas. La bête avait une large tête d'aigle, entourée d'une crinière épaisse d'un noir de jais. De longues ailes  aux plumes sombres permettaient à l'imposant corps de lion de planer dans les airs, sa fourrure d'un gris foncé tirant vers le beige à certaines de ses extrémités. Ses quatre jambes étaient affublées de larges serres d'un noir similaire à celui de sa crinière, la fine fourrure ne cachant pas les puissants muscles de la bête se dessinant sur ses pattes.

A la vue de ce monstre, Drasur fut pris de panique, réalisant qu'il ne ferait certainement pas le poids face à une telle monstruosité. Il tenta de fuir pour s'abriter derrière  le coquillage géant le plus proche mais il était trop tard, la chimère s'était déjà lancée en piquée vers le voyageur, les serres ouvertes.  Elle arriva à son niveau avec une vitesse folle, prête à agripper le malheureux. Ce dernier esquiva cependant l'attaque de justesse, se laissant maladroitement tomber au sol. Une des griffes de l'animal lui déchira tout de même le dos sur quelques centimètres, le faisant hurler de douleur.

La situation était loin d'être idéale, Drasur se trouvait au sol complètement traumatisé par ce qu'il venait de se passer, sans compter sa blessure. La bête s'envola à nouveau, décrivant des cercles autour de sa proie comme auparavant, prête à attaquer à nouveau, hurlant à la mort. Ce cri résonnait dans l'âme du voyageur, le pétrifiait, le faisant se demander ce qu'il était venu foutre là. Son orgueil allait il le mener à sa perte ? Il aimait sa vie de voyageur, c'était la seule chose qui le sortait de sa misérable vie de chômeur dans la réalité, la seule chose qui apportait un minimum de piquant dans son existence. Il ne pouvait pas abandonner tout ça ce soir, pas sans combattre. C'est ainsi que dans un mouvement rapide, sa blessure lui faisant souffrir le martyr, il se leva et invoqua son masque de ronin qu'il s'empressa d'enfiler. Son katana apparut dans sa main et il sentit tout à coup ses capacités augmenter. Toujours effrayé par la bête, il se sentait déjà plus fort qu'avant, ce qui eu le mérite de le mettre en confiance. Il allait crever, il en était certain, mais pas sans avoir ouvert le ventre de cette putain de chimère.


Il n'eut pas le temps de réunir ses esprits que la bête s'élança à nouveau vers lui à une vitesse considérable, toutes griffes dehors. Drasur tenait son sabre devant lui, il n'avait adopté aucune garde particulière, c'était inutile contre une bête sauvage ne répondant qu'à ses instincts. Il se tenait droit, prêt à contre attaquer, son masque lui ayant conféré le savoir nécessaire à mener ce combat. Le griffon arriva enfin à son niveau et lança ses quatre pattes vers le bordelais qui tournoya sur sa jambe gauche, esquivant l'attaque de peu. La bête encore à son niveau, il exécuta un moulinet avec son épée en direction du flan droit de la bête qu'il érafla de la pointe de sa lame. Un fin filet de sang suivait l'acier acéré, faisant couler le premier sang de la bête. Cette dernière n'était d'ailleurs visiblement pas habituée à la douleur et hurla à la mort, atterrissant quelques mètres plus loin. La blessure infligée n'était pas profonde, ni très large, mais elle signifiait beaucoup. Elle voulait dire que même si il était loin d'avoir le dessus, Drasur était capable de lui infliger des dégâts, ce qui était loin d'être négligeable pour celui qui s'imaginait déjà en tant que dîner il y a quelques minutes à peine.


La bête avait l'air d'avoir également compris que la donne n'était plus la même, elle avait en effet rejoint le sol. Le monstre et l'homme se faisaient face, séparés de quelques mètres, se fixant tous deux dans le blanc des yeux. Quelques secondes eurent à peine le temps de passer avant que la bête ne revienne à l'assaut, utilisant ses pattes musclés pour se lancer dans un galop rapide. Le voyageur se tenait droit encore une fois, ses capacités étaient augmentées par son masque, mais il ne se risquerait pas à attaquer une telle bête de face. Elle s'approchait dangereusement de lui avant de décoller du sol d'un bond puissant, les serres en avant. L'invocateur leva son sabre horizontalement, la paume de sa main gauche appuyée sur l'arrière de la lame. Les deux serres avant percutèrent l'arme avec force, le jeune homme peinant à retenir l'assaut de la bête. Elle tenait sur ses deux pattes arrières, les serres avant entourant le katana. L'arme s'enfonçait peu à peu dans la chair de la paume de la bête, s'appuyant de tout son poids sur le fil acéré de la lame. Son cou puissant envoyant son bec vers l'avant, le claquant à répétition à quelques centimètres du visage du voyageur. Ce dernier essayait de tenir tant bien que mal, la force brute de son ennemi l'enfonçant de plus en plus dans le sable humide. Puis, dans un hurlement, le griffon fit battre ses ailes en direction de sa proie, lui envoyant une bourrasque qui le déstabilisa et le fit chuter à un peu plus d'un mètre.


Sur le dos, son katana lâché à quelques centimètres de sa main, Drasur était à la merci de la bête. Elle s'approcha doucement de lui puis, une fois à son niveau se cabra, dans le but d'enfoncer ses griffes dans le corps sans défense du jeune homme. Dans un mouvement rapide, il attrapa son arme du bout des doigts de sa main droite, appuya sa main gauche sur le sol et tendit sa lame droit devant lui. La bête qui avait cessé de cabrer se laissa lourdement tombé sur sa proie, une de ses serres s'enfonçant profondément dans la cuisse gauche du voyageur. La seconde serre ne pu cependant atteindre sa cible, le katana s'étant enfoncé de la cuisse de sa patte jusqu'à son bas ventre. La bête hurla à nouveau et fit battre ses ailes comme jamais auparavant, s'envolant difficilement à quelques mètres du sol. L'arme toujours enfoncée dans le corps, elle tenta de fuir en virevoltant maladroitement, avant de s'écrouler au sol une vingtaine de mètres plus loin.


Drasur souffrait le martyr et appuyait comme il le pouvait sur ses plaies au niveau de la cuisse. Des gerbes de sang s'en échappaient, créant une flaque rouge autour de son corps. Mais même si la douleur était insoutenable, il avait un boulot à terminer. Il pris alors appui sur sa jambe valide et se releva tant bien que mal. Sa vision s'obscurcissait mais il s’interdisait mentalement de tourner de l’œil, si il le faisait, il pouvait dire adieu à sa vie de voyageur et il était hors de question qu'elle se termine aussi rapidement. Serrant les dents, essayant d'ignorer ce qui était sûrement la douleur la plus forte qu'il avait jamais ressenti, il boitait difficilement vers le griffon. Après plusieurs minutes de combat contre la douleur, il y arriva enfin. La bête avait elle aussi perdue énormément de sang et gisait au sol, respirant fortement, laissant occasionnellement échapper des râles de douleur. La créature fixait Drasur d'un regard noir, ses yeux d'aigle donnant l'impression qu'elle sondait l'âme même du voyageur. Ce dernier se laissa d'ailleurs chuter misérablement sur le corps du monstre. Pendant quelques secondes ils étaient là, tout deux, égaux, si proches de la mort. Ils n'étaient pas si différents finalement, ils avaient tous les deux laissés leurs instincts les plus profonds les guider, c'était leur bestialité qui avait terminé le combat. Ils étaient tous les deux des proies désormais, l'un de l'autre. Mais même si il aurait été agréable pour les deux êtres de mourir côte à côte, se vidant doucement de leur sang, l'humanité du voyageur prit le dessus. Si lui devait souffrir jusqu'à son dernier souffle qu'il en soit ainsi, mais cette noble créature, bien que monstrueuse à bien des égards, ne méritait pas une telle fin, sans que son esprit animal ne comprenne ce qu'il se passe.

Drasur réunit alors ses dernières forces et se leva à nouveau. Il arracha sa lame du ventre de la bête d'un coup sec, des litres de sang se déversant à ses pieds. Il leva alors la lame, fixant sa cible dans les yeux, l'accompagnant dans sa fin, avant de planter l'arme à l'acier froid dans la gorge de la bête. Le coup était sec et ôta directement la vie à l'animal, le laissant enfin se reposer en paix, il n'aurait plus à se battre pour se nourrir désormais. Ayant mis toutes ses forces dans cette action, Drasur laissa les ténèbres l'envahir et tourna de l'oeil, certain qu'il se réveillerait dans sa chambre sans aucun souvenir de cette seconde vie nocturne.

Ouvrant doucement les yeux, la lumière d'une torche au mur lui brûlant la rétine, Drasur pris quelques secondes avant de comprendre ce qu'il se passait. Les souvenirs de ce qu'il lui était arrivé plus tôt dans la nuit l'assaillirent soudainement, des images saccadées apparaissant dans son esprit. Le griffon, le combat, ses blessures. Réalisant à peine qu'il avait survécu à cette rencontre, une douleur aiguë le paralysa alors qu'il tenta de mouvoir sa jambe gauche. Levant doucement la tête, il aperçu le bas de son corps recouvert de bandelettes sur lesquelles son sang avait formé une large tâche pourpre. Balayant la pièce qui l'entourait du regard, il constata rapidement être de retour au bar qu'il avait visité il y a quelques heures. Attrapant une béquille posée à côté de la table sur laquelle il était allongé, le voyageur utilisa le peu de forces qu'il lui restait pour rejoindre difficilement le bar et s'asseoir sur  l'un des tabourets.


« Et bah gamin, on peut dire que t'as de la chance, le propriétaire du Cheval-phoque dont t'as trouvé la moitié du cadavre t'as trouvé dans les vappes à côté du cadavre fumant de la bête ! Il t'as ramené ici fissa et il a bien fait, t'as bien faillis te vider de ton sang sur ma table de poker.

- Putain ouais, je pensais crever là bas, articulait difficilement le jeune homme le souffle coupé, merci à vous.

- Boarf pas de soucis, t'as remplis le contrat après tout. D'ailleurs tu m'as bien cloué le bec petit, si je m'attendais à ce que tu te le fasses tout seul ... Chapeau bas !

- Ouais ... J'ai eu de la chance surtout, ça je le retenterais pas une autre fois croyez moi.

- Bois ça ça te fera du bien, le serveur fit alors glisser un verre sur le bar à l'attention du voyageur.

- Et du coup, vous avez fait quoi de son cadavre ? Il pris doucement une gorgée du breuvage qui lui a été servi, ah ça pique putain.

- On a récupéré sa tête que je vais pas tarder à empailler et à mettre au dessus de l'entrée là, que tous les étrangers voient ce que ça fait de foutre le bordel ici ! Haha ! Il reprit, un air plus sérieux, concernant votre récompense jeune homme, le bouclier ...

- Ecoutez je me fous du bouclier, j'ai assez vu de coquillage pour toute une vie. Laissez moi embarquer la tête et on est quittes.

- Ça me semble bizarre, qu'est ce que vous comptez en faire ?

- Ah ça, ça dépendra de l'humeur de mon seigneur, putain ça pique vraiment ce que vous m'avez servi là, je vais m'allonger un peu j'suis pas bien là... »


Drasur se dirigea alors à nouveau vers la table imbibée de son propre sang et s'y allongea, ses forces le quittaient peu à peu. Ce serait bête de mourir après le combat, il valait mieux qu'il se repose jusqu'à la fin de la nuit, pour pouvoir revenir chercher sa récompense la nuit suivante. Tout en se laissant doucement aller vers un sommeil qu'il n'espérait pas fatal, le jeune homme repensait à son état d'esprit lorsqu'il était arrivé dans ce royaume il y a un peu plus de huit heures de ça. Son arrogance et son ego avaient faillis avoir raison de sa vie de voyageur cette nuit et passer aussi proche de la mort avait au moins réussi à lui faire calmer ses ardeurs un minimum. Il était loin d'être le plus faiblard des voyageurs certes, mais ce monde semble rempli de dangers plus insurmontables les uns que les autres et cette leçon, il l'avait apprise de la manière la plus douloureuse possible. En espérant qu'il n'ai pas à passer aussi proche de la mort à chaque fois qu'il souhaite prouver sa valeur ...