Le véritable voyage commence. [Solo]

Il s'était enfin endormi. Alastar avait attendu cet instant toute la journée, espérant que toute cette histoire concernant Dreamland ne soit pas qu'une invention loufoque du cerveau d'un défoncé. Ses derniers rêves lui semblaient si réels qu'il ne pouvait en être autrement. Il avait tenté de s'en convaincre durant de longues heures, sans pour autant y parvenir. Le bibliothécaire rejoignait finalement les bras de Morphée, prêt à partir à la découverte de cet univers onirique. Sans même s'en rendre compte, il croisait les doigts sous son oreiller. Le jeune homme ouvrait ensuite les yeux, le lieu qui l'entourait se révélait parfaitement inconnu. Se trouvait-il véritablement à Dreamland ? Il ne pouvait le dire avec certitude, mais cette sensation que tout autour de lui était réel lui permettait au moins de le supposer.

Le voyageur entendait une musique de fête foraine dans le lointain. Ali' pivota sur lui-même pour observer les grandes roues, chapiteaux et manèges. Ce lieu devait être un parc d'attractions ou quelque chose du même acabit. Dans cet endroit, les rêveurs s'amusaient surement, mais il s'imaginait mal y participer seul. Al' avait bien tenté d'en parler à quelques-uns de ses amis, mais ceux-là lui avaient ri au nez en lui disant d'arrêter la fumette. Il comprenait parfaitement que l'idée puisse paraître folle, pourtant la preuve se dressait à ce stade, devant ses yeux. Tant pis pour eux. De toute façon, il ignorait complètement comment il avait fait pour en arriver là. Mieux valait qu'il gagne en expérience avant d'initier ses camarades, car il savait à présent que de nombreux dangers pouvaient se mettre en travers de sa route.

"Alors comme ça t'as décidé de venir ici c'soir ?! ça craint !"

Les paroles interrompaient le fil de ses pensées. Al' sursauta et faillit bien partir en courant avant de se raviser. Il secoua la tête, le voyageur aurait besoin d'un petit moment pour se faire à l'apparence de Touristo et ses manifestations subites ne lui facilitaient absolument pas la tâche. La dague voletait en fixant les guirlandes clignotantes et les ampoules colorées de la fête à quelques de mètres de sa position, elle n'avait pas remarqué le mouvement de surprise du bibliothécaire et n'eut pas l'occasion de voir le doute qui le tirailla durant quelques secondes.

"Euh salut. On est où au juste ?"

Les paroles du jeune homme démontraient un manque flagrant d'enthousiasme, visiblement se trouver là ne l'enchantait guère. Il avançait malgré tout vers le lieu comme un insecte attiré par la lumière. L'arme chercha un bref instant à capter le regard de son interlocuteur. Elle le fixa droit dans les yeux en simulant une réflexion profonde de quelques secondes.

"J'en sais rien moi, t'as cru qu'il y avait écrit carte de Dreamland sur ma tronche ou quoi ?"

Le voyageur se massa les tempes en soupirant. Le pauvre était totalement dépité. La veille il supposait encore que sa rencontre avec Touristo lui permettrait d'en apprendre plus sur cet univers fabuleux, mais la lame ne se montrait pas aussi utile qu'il l'espérait. Le rêve tournait de nouveau au cauchemar, mais cette fois-ci il ne comptait pas se laisser abattre pour si peu. Si au départ l'idée de participer aux attractions et autres divertissements de ce cirque lui paraissait envisageable, à présent le bibliothécaire ne se voyait absolument pas s'amuser aux côtés d'une arme blanche. Cela représentait un danger qu'il épargnerait à ses potes. Il s'arrêtait finalement à quelques mètres de l'entrée et s'installait en tailleur au sol, sur une petite butte couverte d'herbe bien verte.

De sa position, il entendait les rires des rêveurs qui s'amusaient. Ses yeux se posèrent sur un petit groupe qui s'apprêter à pénétrer dans l'enceinte du parc. Le quatuor était exclusivement composé d'adolescents et les bribes qu'il percevait de leur conversation le laissaient croire qu'ils étaient eux aussi conscients d'être en plein songe. Il remarqua alors un clown à la chevelure rouge et frisée qui lui fit immédiatement signe de s'approcher, mais le voyageur déclina d'un mouvement de la tête. Alastar s'allongea sur le sol en souriant. Le bonheur des autres suffisait à lui rendre un peu d'entrain. Son regard vagabondait d'un nuage à un autre. Il savourait ce moment, souhaitant que pour une fois rien ne vienne le gâcher. Touristo s'était finalement posé sur l'herbe, à bonne distance de l'invocateur. De cette manière, il espérait que celui-ci s'habitue à sa présence. Le jeune homme se redressa subitement, se remémorant conversation interrompue par le réveil. Il avait sûrement raté quelques révélations et comptait bien les obtenir aujourd'hui.

"Ce matin, tu voulais me dire quelque chose à propos de mes limites ?"

La dague semblait dubitative, elle ne se rappelait de la discussion de la matinée. Elle ignorait combien de temps elle avait passé prisonnière de la roche, mais cette expérience rendait ses souvenirs flous. Son esprit lui paraissait entouré de volutes de brume. Chaque fois que Touristo s'apprêtait à saisir une partie de sa propre histoire, il se perdait un peu plus dans ce brouillard. Cela semblait aussi affecter sa mémoire à court terme. L'instrument de mort choisissait pourtant de garder ce détail pour lui, l'humain flippait suffisamment comme ça. Il improvisa toutefois une réponse qui le satisfaisait.

"Je voulais te dire que t'es tellement maigrelet et t'as l'air tellement fébrile que tu ferais mieux d'abandonner toutes ces histoires de classement. T'as clairement pas les épaules pour affronter un autre voyageur ou..."

Touristo n'était pas du genre à ménager les autres et Al' en avait déjà fait les frais. Le voyageur, déçu et vexé, se rallongea aussitôt. Il s'attendait à des révélations plus passionnantes. Le bibliothécaire n'espérait pas qu'on lui prophétise un destin chevalresque ou glorieux comme ceux de ces héros de roman, mais il aurait apprécié que l'arme lui confie une chose qu'il ignorait sur sa personne. Selon Alastar, les voyages à Dreamland représentaient autant une introspection qu'une ouverture sur le monde. Pourtant la dague brisait ses espoirs à chaque fois qu'elle lui adressait la parole. Elle ne faisait que soulever des évidences de manière à le blesser. Le pauvre humain répliqua sur un ton laconique.

"Une fillette de cinq ans. ça j'avais déjà compris !"

Ali' savait pertinemment que Touristo disait vrai, enfin peut-être pas pour la petite fille, et cela l'agaçait d'autant plus. Entendre un instrument de mort lui mettre cette vérité en pleine tête lui donnait une raison de plus de détester les armes, mais d'une certaine manière cela lui permettait de faire face à elle sans en être effrayé. L'épée lui répondait, toujours sur le ton de la provocation.

"Je voulais parler des créatures qui peuplent Dreamland, mais j'vois qu't'as bonne mémoire. C'cool. C'déjà ça."

Les deux comparses ne semblaient pas faits pour s'accorder et Alastar était déjà las de cette joute verbale. Elle partait pour durer, mais il comptait bien y mettre fin même si pour cela il devait ravaler sa fierté.

"Merci."

Le jeune homme tentait d'exprimer un peu d'entrain alors qu'en réalité, il désirait par-dessus tout poser un millier de questions concernant le monde fabuleux tout autour de lui. Pourtant il avait peur que cette lame lui arrache les dernières lueurs d'espoir qui brûlaient au fond de lui. Le bibliothécaire avait beau essayer de se convaincre que le pire était déjà derrière lui, mais son instinct lui hurlait que tout ne faisait que commencer.

"Tu ne comptes pas te volatiliser comme la dernière fois j'espère ?"

Le voyageur mit quelques secondes à comprendre ce que lui demandait son interlocuteur. Al' n'avait pas vraiment pensé à ce qui arrivait à Dreamland lorsqu'il était éveillé. Les rêveurs du monde entier s'y retrouvaient chaque soir et s'il se souvenait bien de tout ce qu'il avait appris sur les fuseaux horaires, il faisait nuit quelque part quand le matin se levait sur La Nouvelle-Orléans. Il y avait donc toujours des rêveurs dans l'univers des songes. La course du temps ne s'arrêtait pas avec son réveil, pendant qu'il menait sa vie réelle d'autres s'aventuraient dans ces contrées oniriques pour y vivre leurs propres péripéties. Cela lui fit prendre conscience qu'il n'était qu'un voyageur parmi tant d'autres, un grain de sable au beau milieu du désert.

"Le réveil a sonné. Je me suis réveillé et j'ai dû partir pour le boulot. Je ne peux malheureusement pas passer mon temps à dormir."

Ali' paraissait quelque peu amer. Il aurait préféré passer la journée au lit, ou au moins chez lui, ça lui aurait sûrement permis de réfléchir un peu plus facilement à cet étrange monde et à toutes les possibilités. Le bibliothécaire ne pouvait toutefois s'octroyer le luxe de manquer le travail. Même si son emploi ne semblait pas d'une grande importance aux yeux de la société, il avait un sens particulier pour le jeune homme. Il aimait énormément s'en plaindre, mais pour rien au monde il ne l'aurait abandonné. Le perdre aurait été une déchirure. Al' s'apprêtait à parler, mais il hésita un instant avant de s'exprimer.

"Mais ne t'en fais pas, c'est le week-end et par chance je ne bosse qu'un samedi sur deux. Le réveil ne sera pas allumé pendant deux jours. Nous serons tranquilles."

Il avait subitement l'impression de rassurer une conquête sur leurs rendez-vous à venir et cela le fit sourire derechef. Si on lui avait dit quelques mois auparavant qu'il discuterait avec une lame, le voyageur n'y aurait absolument pas cru ou il aurait fallu qu'il soit sacrément défoncé pour songer à cette potentialité.

"Dis-moi, il y a des différences entre les créatures de Dreamland et les personnes comme moi ?"

Finalement, le bibliothécaire décidait enfin de laisser libre cours à sa curiosité. Il supposait que toutes les créatures de rêves n'étaient pas des armes. Ali' envisageait même la possibilité que l'ombre qu'il avait aperçue quelques nuits plus tôt n'appartenait pas véritablement à un être humain.

"Mec, faut d'abord qu'tu saches que tous les humains ne sont pas des personnes comme toi. T'as dû t'en rendre compte, autrefois tes rêves ne te paraissaient pas si réels. T'étais qu'un rêveur ordinaire à présent t'es un voyageur. Ces humains-là ont pleinement conscience d'être au monde des songes et parviennent même à s'en souvenir."

Touristo paraissait concentré, il réfléchissait. Alastar voulut l'assaillir de questions, mais la dague n'avait pas encore complètement répondu à sa première interrogation. Il préféra attendre la suite et celle-ci ne tarda pas.

"Il y a un nombre incalculable de créatures différentes ici. J'peux même pas te dire exactement combien de peuples existent à Dreamland, ni même combien de royaumes il y a. Ils sont liés aux rêves ou aux cauchemars des êtres humains."

L'arme ne répondait pas totalement à la question du jeune homme. Celui-ci patientait néanmoins, espérant obtenir quelques informations supplémentaires. Le silence s'installa et dura deux bonnes minutes avant que l'épée ne reprenne sa tirade.

"Certains d'entre nous ont des apparences proches de celles des hommes, mais quelques détails diffèrent, des oreilles pointues par exemple !"

Al' écoutait attentivement les propos de son interlocuteur. Cela lui permettrait sûrement de bien commencer son périple.

"Bon, c'pas forcément le détail le plus facile à r'pérer et certains voyageurs peuvent aussi avoir des oreilles particulières dans certains cas, ça reste plutôt rare."

L'instrument de mort marmonnait et le voyageur entendait à peine ses paroles. Touristo contredisait finalement l'exemple qu'il avait lui-même donné. Alastar mit ce détail de côté, jugeant qu'il se contenterait d'observer les êtres qu'il rencontrerait. La conversation s'arrêta là et le jeune homme ne percevait plus que le son des manèges et les rires. Il se focalisa sur le ciel azuré et se délecta de cette hilarité en tant que simple spectateur. Les bruits ambiants perdirent en intensité tandis que tout se couvrait de ténèbres. Il venait de fermer les yeux.

Ali' était toujours allongé sur l'herbe, les yeux rivés sur le ciel bleu. Il avait l'impression de s'être assoupi un moment sans savoir si cela était possible. Ne se trouvait-il pas déjà en train de dormir ? Il voulut poser la question à Touristo, mais quelque chose cogna soudainement son flanc. "Aoutch"  avait il dit sous le coup de la douleur. Le jeune homme aperçut une masse étonnante de cheveux aux couleurs de l'arc en ciel rouler au-dessus de lui avant de s'écrouler en contrebas hoquetant de surprise. Il remarqua alors deux autres femmes qui passaient juste à côté de lui en courant sans même le voir, comme s'il était une vulgaire pierre. Il se redressait, un peu vexé. En regardant aux alentours, il ne constatait aucun signe de la présence de la dague ailée. Les deux personnes qui venaient de le snober se penchaient promptement sur cette impressionnante tignasse multicolore en l'interrogeant sur son état et en lui tendant des mains secourables.

"Tu vas bien ?"
"Qu'est-ce qui t'est arrivé ? T'as glissé sur tes cheveux ?"

Deux mains blanches émergèrent de la masse capillaire pour saisir celles tendues par ses camarades. Le trio semblait se connaître et Alastar pouvait déjà dire que deux d'entre elles étaient très clairement humaines. L'autre en revanche ressemblait à une touffe de cheveux ambulante. Celle-ci répondait d'ailleurs à ses comparses d'une voix que le voyageur jugeait cristalline et mélodieuse, bien que le ton employé montrait un certain embarras.

"Ça va oui, j'ai amorti la chute. Je crois que je me suis pris le pied dans un truc."

Le bibliothécaire décidait finalement de se lever, un peu énervé. Il époussetait sa salopette verte puis avança d'un pas décidé en direction du trio. Ils ne manquaient pas de culot ces trois-là. Il comptait obtenir des excuses, en particulier de la part de l'étrange créature.

"Dites donc vous ! C'est bien la première fois qu'on me marche presque dessus !"

Aucune des trois ne remarqua Alastar, qui pesta dans son coin un petit moment. Est-ce qu'ils l'ignoraient complètement ? Le voyageur décidait de se planter juste devant eux en agitant les bras.

"Vous pourriez regarder où vous mettez les pieds quand même."

Le trio lui portait finalement toute son attention. Elles étaient toutes trois plus grandes que lui et les deux demoiselles souriaient. La chevelure de l'étrange créature vira à un mélange de jaune, d'orange et de rouge puis se dressa rapidement au-dessus de sa tête, comme si des flammes dansaient sur son crâne. Al' recula instinctivement. Le corps d'une jeune femme, parfaitement humaine et surtout très jolie, se dévoilait alors. Le voyageur ne pouvait la quitter du regard. Elle était vêtue d'une robe à bretelles blanche qui mettait en valeur sa poitrine généreuse et sa silhouette filiforme. Il avait l'impression de l'avoir déjà rencontré quelque part sans pouvoir dire où. Les traits de son visage étaient tirés et déformés par la colère. Une mèche écarlate fouetta et entailla la joue gauche du jeune homme. Celui-ci fit de nouveau un pas en arrière, surpris. Il porta lentement sa main sur la blessure. Des cheveux pouvaient vraiment faire ça ? Après tout, il rêvait.

"Tu pourrais t'excuser au moins, nabot !"

Alastar paraissait abasourdi. Pourquoi devait-il présenter des excuses ? Les deux autres gardèrent le silence et se placèrent derrière leur amie. Ils avaient tout de même l'air de vouloir en découdre maintenant. Pourtant, le voyageur était engaillardi par son énervement et il ne comptait pas en rester là.

"Je ne crois pas. Je n'ai rien demandé à personne, je glandais tranquillement sur la pelouse et toi..."

Le jeune homme s'approchait durant tout le long de sa phrase, il s'arrêtait finalement face à la furie pour la pointer de l'index.

"Oui, toi ! Tu débarques et tu me percutes, involontairement certes, mais en plus tu t'énerves sur moi et tu oses réclamer des excuses..."

Une nouvelle mèche de cheveux allait atteindre le visage du bibliothécaire, mais celui-ci parvint à l'éviter en se laissant glisser au sol.

Alastar remarqua que quelque chose lui attrapait la cheville puis tout le paysage se retrouva totalement renversé. Il était suspendu à l'envers au-dessus du sol et oscillait de droite à gauche dans un mouvement de balancier ininterrompu. Le trio s'esclaffa tant la scène était ridicule. Ali' se tortillait, cherchant désespérément à se libérer de cette étreinte sans y parvenir. Il sentait le sang descendre vers ses tempes et son visage rougissait. La demoiselle relâcha finalement sa prise, laissant choir le captif par terre. L'invocateur s'écroulait sans aucune finesse, étonné par cette démonstration de force et un peu sous le choc. Il se demandait s'il était capable de faire la même chose. Il se concentrait un moment, y mettant toute sa conviction, mais seul le vent remuait sa tignasse grisonnante.

La chevelure de la jeune femme se teintait de nouveau de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, chaque mèche flottait délicatement autour de la belle demoiselle comme soulevée par une douce brise. L'agresseuse tendit une main en direction du voyageur. Al' se redressa aussitôt, mais il ne parvint qu'à s'asseoir. Elle posa alors sa paume sur le crâne du bibliothécaire, comme un adulte le ferait à un enfant, puis le fixa droit dans les yeux avec un air sévère.

"Pour cette fois, je vais pardonner ton insolence. Tu as l'air jeune en plus d'être totalement inexpérimenté."

Ali' eut l'impression que ses joues s'empourpraient. Elle n'attendit aucune réponse de sa part et lui tourna le dos. Sa vie serait sauve pour cette fois. Il voulut l'invectiver, lui dire de s'arrêter, mais ne parvint qu'à bafouiller des propos hésitants et incompréhensibles.

"...Et j'ai 20 ans !"

Furent les seuls mots que ses interlocuteurs auraient pu comprendre, si seulement l'inconnue aux cheveux étranges n'avait pas couvert les élucubrations du jeune homme par ses propres paroles.

"On s'en va, j'ai plus envie de m'amuser."

Le trio s’était alors comme volatilisé en l'espace d'une seconde, voire moins. Alastar crut un instant qu'il hallucinait et se frotta les yeux, mais cela ne fit pas réapparaître les étrangères. Il ne saisissait absolument rien à ce qu'il venait de lui arriver. Le bibliothécaire doutait de la nature même des êtres qu'il avait rencontrés. Ces femmes ressemblaient vraiment à des humains, mais un détail lui échappait peut-être. Aucune des trois n'avait d'oreilles pointues, il en était presque certain. Mise à part cette beauté qui semblait capable de contrôler sa chevelure, les deux autres ne se démarquaient en rien. Une question lui brûlait les lèvres. Si elle était une voyageuse et qu'elle était dotée de telles capacités, est-ce que cela signifiait que lui aussi pouvait les développer ?

"T'es réveillé ?! Ça tombe bien. Je suis allé me renseigner un peu plus loin. On est juste à côté de Circus Attractions. T'as de la chance, c'est dans la première zone, c'est plutôt tranquille par ici."

La dague débarquait après la bataille, mais il fit rapidement le tour de la mauviette en l'inspectant sous toutes les coutures.

"Il t'est arrivé un truc, nan ?"

Le jeune homme serrait la mâchoire et se releva subitement. Il brandissait le poing en direction de la lame et commençait à hurler.

"Plutôt tranquille hein ?! Je viens de me faire ridiculiser par une femme avec des cheveux arc-en-ciel, bordel !"

La dague ne put contenir un fou rire naissant. Alastar commit finalement l'impensable. Il venait d'assener un coup de poing en plein sur le plat de l'arme et se secouait déjà sa main endolorie. Touristo quant à lui avait bien reculé sous l'effet du choc, mais aucune douleur ne parcourait son corps métallique. Il n'en restait pas moins médusé par le geste de l'invocateur. L'arme blanche était autant surprise que fière d'assister enfin à un acte de rébellion de la part de son futur protégé. L'humain n'était pas aussi mou qu'il y paraissait finalement.

"T'as b'soin de te défouler sur quelque chose maint'nant qu't'as été humilié ? C'tait p't'être sur elle qu'il fallait taper, nan ?"

Le jeune homme se massait à présent les phalanges en gémissant. Il espérait ne pas s'être cassé un doigt en frappant. Le voyageur ne prêtait pas trop attention aux mots de la dague. Il voulut faire comme s'il n'avait rien entendu, mais ce n'était pas le cas. Touristo se montrait particulièrement habile lorsqu'il s'agissait de remuer le couteau dans la plaie. L'arme savait exactement quoi dire pour faire réagir l'invocateur et encore une fois elle avait parfaitement raison. S'il avait pu se défendre et faire jeu égal avec la furie, Ali' s'en serait donné à coeur joie. Par chance, seules quelques éraflures et une coupure sur sa joue résultaient de cet affrontement à jeu inégal. Il aurait pu perdre la vie cette nuit.

"Cette femme manipulait ses cheveux comme elle le souhaitait. J'ai bien essayé d'en faire autant, mais visiblement c'est pas mon truc."

Le bibliothécaire triturait une mèche de sa chevelure blanche en essayant de l'allonger sans réussir. L'arme voulut rire de nouveau, mais parvint à se contenir. Ce n'était pas le moment de s'esclaffer de la bêtise de l'humanité. Elle ne pouvait néanmoins cacher le sourire qui étirait les fentes sur sa lame qui lui servaient de lèvres. Il fallait être aveugle pour ne pas le voir, pourtant Al' feignit de ne rien remarquer et haussa les épaules.

"Tout simplement parce que c'pas ton pouvoir. "

L'arme marqua une pause, elle réfléchissait. Alastar était surpris par cette révélation. Cette possibilité lui avait vaguement effleuré l'esprit, mais il n'y croyait plus vraiment. Il pensait à tort que s'il possédait un pouvoir, celui-ci se serait manifesté au moment où il en avait le plus besoin comme c'était le cas dans de nombreuses oeuvres de fiction.

"C'est vrai que j'ai oublié d'te parler d'ça ! La plupart des rêveurs obtiennent un pouvoir lié à leur plus grande peur lorsqu'ils deviennent voyageurs."

Le jeune homme saisissait alors le sens de la phrase de son interlocuteur. Il savait pertinemment quelle était sa pire phobie et son visage devint blême. Ali' parut mortifié. Le premier songe dont il se souvenait clairement représentait une épreuve. Il prenait doucement conscience qu'il avait réussi, à ce moment-là, à surpasser cette crainte qui lui pourrissait la vie depuis tant d'années.

"Mon pouvoir est lié aux armes blanches."

Alastar semblait toujours horrifié. Sa voix tremblait et son corps tressautait d'effroi. La simple pensée de tenir une arme entre ses doigts lui donnait la nausée. Il en serait incapable.

"Pas la peine de stresser comme ça. J'suis là pour t'aider et j'trouve que tu t'en sors plutôt bien pour l'instant."

Touristo mentait pour rassurer le jeune homme. Il n'avait pas connu énormément de voyageurs et un seul l'avait utilisé jusqu'à ce qu'Alastar lui mette la main dessus, mais il savait pourtant que l'invocateur ne se révélait pas particulièrement brillant. La dague resta un moment à observer la triste mine du voyageur avant de reprendre sur un ton un peu plus tranchant.

"De toute façon, faudra bien t'y mettre si tu veux survivre."

En voyant que cela ne suffisait pas à remettre d'aplomb son petit protégé, il poursuivit son discours en essayant de se montrer lui-même un peu plus enthousiaste.

"Si tu restes là à te lamenter sur tes faiblesses, t'risques pas d'faire des progrès. Tu t'rends compte de toutes les merveilles que tu vas rater si tu meurs ? Dreamland est un endroit qui se révèle parfois dangereux, mais le jeu en vaut toujours la chandelle. Crois-moi mon gars, lorsque t'auras parcouru ce vaste monde, tu voudras plus l'quitter et tu trouveras ta réalité bien morne en comparaison."

L'arme ne parvenait pas à convaincre le jeune homme. Il s'enfermait dans le mutisme et semblait perdu dans ses pensées. Touristo se demanda un moment si son interlocuteur était toujours conscient. Alastar changea pourtant de mine, sa grimace de dégoût disparut pour laisser place à un visage stoïque. Ses lèvres s'entrouvrirent puis il répondit.

"Je comprends. Quoi qu'il arrive, je n'ai pas le choix."

D'après ce que la dague lui avait affirmé lors de leur première conversation, s'il mourait à Dreamland il perdait aussi la vie dans la réalité. Alastar se souviendrait toujours de cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Il allait devoir vivre avec à présent. Ce matin-là, Alastar s'était éveillé retourner dans le musée au sein duquel il se réfugiait quand il était enfant.