Sauts d'obstacles calculés [Joy]

En s'éveillant dans Dreamland, la première chose que perçut Vladimir fut le sol sous ses pieds... qui n'était pas du sol. Le jeune homme baissa la tête pour constater qu'il s'agissait d'un trampoline. Les yeux écarquillés, il chercha Grani du regard. Le petit cheval de trait volant riait à gorge déployée non loin de là, bondissant sur un petit carré de trampoline à l'écart. Tout autour, des rêveurs et des créatures allaient et venaient dans un sens et dans l'autre sur ce qui avait des allures d'autoroute. Ils bondissaient, provoquant des soubresauts sous les semelles du Great-Rider, qui se mit à prendre en compte son équilibre. Un léger sourire sur le coin des lèvres, il tenta de s'allumer une clope, mais l'instabilité du trampoline l'en empêcha. Il finit par renoncer. Un coup d'oeil à la ronde lui permit de repérer un grand panneau indicateur.

"Autoroute du Boing, véhicules et montures interdites"

Le jeune homme se gratta la tête et se mit à faire de petits bonds en direction de Grani, manquant de couper la route à une créature qui l'insulta en le traitant de chauffard. Rejoignant son Guide, il essaya de synchroniser leurs sauts pour pouvoir lui parler.

« Salut Grani, on est où ?
- Ha ha ha ! Rigola l'animal en bondissant. C'est la première fois que j'y mets les pieds, mais ça doit être Trampoli Parc !
- Je pensais retourner à Saharia, j'ai pensé à Maureen et sa cousine avant de fermer les yeux pour qu'on escorte ce marchand ensemble jusqu'à Justicity, comme on avait dit. Attends, tu vas trop haut !
- A mon avis tu t'es endormi avant elles ! C'est pas grave, c'est génial ce coin !
- Bon écoute, on va essayer d'aller vers la ville qu'on voit là-bas pour trouver un moyen de les joindre, ok ?
- J'te suis, gamin ! »

Prenant un peu plus d'appui sur ses genoux, Vladimir accentua la portée de son prochain saut et se propulsa vers l'avant. Il se mit ainsi à bondir, un peu plus haut ) chaque fois, Grani dans son sillage. Il y eut plusieurs créatures en tenue de compétition, ainsi qu'une famille de kangourous qui le frôlèrent, ridiculisant sa technique de saut. La cité était encore loin mais il pouvait déjà voir que les bâtiments eux-mêmes étaient faits de trampoline. Autour de l'Autoroute du Boing, une immense plaine de trampoline s'étendait à perte de vue. Ce royaume complètement fou étirait son sourire jusqu'aux oreilles.

Boing ! Boing !

« Yahouuuu ! Cria le Great-Rider en écartant les bras et les jambes au rebond.
- Mais il est fou ! S'indigna un kangourou qui manqua se cogner contre lui en sautant un peu trop fort. »

Plus les bonds rapprochaient l'Invocateur de Chevaux et sa créature de la ville, plus il s'élevait haut dans le ciel, le faisant peu à peu côtoyer des oiseaux de caoutchouc et des champions de saut en hauteur qui prolongeaient leur chute à l'aide de tenues semblables aux ailes des écureuils volants. Vladimir, yeux fermés, bouche grand ouverte et bras écartés, se laissait aller sans craindre de sa faire mal. Il n'y avait aucune chance de mal retomber, aussi se contenta-t-il de gueuler son amusement en serrant les poings d'un air triomphant. La masse de Grani ne lui permettant pas de suivre son Rider rien qu'en sautant de lui-même, il décidé de synchroniser leurs rebonds pour pouvoir aller plus haut. Afin de pousser l'effet des rebonds, l'ancien Cheval Cauchemar battait frénétiquement des ailes à l'apogée de ses trajectoires, avant de se relâcher. Le spectacle, ridicule, offrait à voir un petit canasson ailé entraîné par son Voyageur dans le creux des trampolines.

Aux abords de la ville, le moindre rebond creusait un sillon de plusieurs mètres à l'intérieur des tissus, projetant Vladimir et Grani haut dans le ciel, jusqu'à pouvoir toucher du doigt le toit des premiers immeubles. Pris d'un fou-rire incontrôlable, le jeune homme s'accrocha à une antenne et se laissa atterrir doucement sur le sommet. Grani, de son côté, se remit à battre des ailes pour stopper la chute et rester à sa hauteur. De leur position, le Great-Rider avait une vue imprenable sur une bonne partie de la cité. Partout, des créatures, des rêveurs et des Voyageurs bondissaient. Il n'y avait pas un sens unique, puisque les rebonds décrivaient des trajectoires verticales, horizontales et même transversales. L'activité était phénoménale, et une telle vision arracha une exclamation admirative au jeune homme.

Soudain, un jeune kangourou atterrit dans leur dos. En se retournant, Vladimir découvrit le gamin, une jeune créature pré-adolescente en tenue de basket et coiffée d'une casquette rouge retournée. Le kangourou l'observa un instant avant de lui offrir un magnifique sourire -dévoilant par là-même une dent de lait manquante- que le Great-Rider lui rendit.

« Toi c'est la première fois qu'tu viens Voyageur, pas vrai ? Fit l'animal d'une voix enjouée.
- C'est vrai. Tu t'appelles comment petit ?
- Nelson, et toi ?
- Moi c'est Vladimir. Et lui c'est Grani.
- Salut gamin.
- Il est marrant, c'est quoi comme créature ? S'empressa de demander le petit basketteur en s'approchant du Guide.
- Oula oula ! Doucement le gosse !
- Il n'aime pas trop être touché. Désolé, reprit Vladimir en esquissant une mine en accord avec ses propos. C'est un cheval. T'en avais jamais vu avant ?
- Jamais !
- Je sais pas comment ça se passe dans ton monde, Vlad, mais les chevaux de Dreamland n'apprécient pas forcément les terrains instables. J'étais pareil avant que tu deviennes Voyageur. Maintenant que je suis ridiculement petit et que j'ai une certaine aisance dans les airs... Je trouve ça amusant.
- Ah ! C'est la première fois que je t'entends admettre un bon côté à ta nouvelle forme.
- C'est pas ce que j'ai dit, hein. »

A ce moment, quatre autres petits kangourous arrivent presque simultanément sur le toit, apostrophant Nelson pour lui demander ce qu'il faisait là. Tandis que le gamin présentait Vlad et Grani à ses copains, le Great-Rider prit le temps de noter qu'ils étaient tous habillés de manière similaire, l'un d'eux portant un bandana là où les autres arboraient des casquettes dans tous les sens. Junior, Kévin, Napo et Archie accueillirent l'Invocateur de Chevaux et son Guide avec le même enthousiasme que Nelson.

« On aime bien les Voyageurs parce que y'en a beaucoup qui viennent jouer au basket avec nous à chaque fois, fit celui qui s'appelait Napo. Tu veux jouer avec nous Vladimer ?
- C'est Vladimir ! Reprit le jeune homme en souriant. En fait j'aimerais d'abord visiter un peu Trampoli Parc, ça vous ennuie de me montrer vos endroits préférés ?
- Pas du tout ! Fit Nelson en se jetant immédiatement du haut de l'immeuble.
- Faut juste que t'arrives à nous suivre, haha ! Lança Napo en sautant à son tour. »

Sans hésiter, les trois autres les imitèrent. Confiant et complètement motivé par la découverte de Trampoli Parc, Vladimir se laissa tomber dans le vide à la suite de ses nouveaux camarades.

Après la chute vertigineuse du haut de l'immeuble, le premier rebond marqua le début d'une phase d'extase ludique pour Vladimir. Sautant de gauche à droite, de haut en bas, de travers au milieu de ses compagnons kangourous, il se laissa porter par leurs mouvements en évitant instinctivement, parfois sur le fil du rasoir, les locaux et les visiteurs de Trampoli Parc. Il traversa une immense partie de la ville comme dans un plan séquence en 3D, subjugué par la sensation de la caresse du vent dans ses cheveux et le sentiment d'invulnérabilité qui l'envahit au fil de son parcours. Grani lui-même, habituellement si bavard, se taisait pour rebondir.

Le premier arrêt de la Team Kangoo, puisque c'est ainsi que les pré-ado nommèrent leur groupe lorsque le Great-Rider leur demanda, fut leur école. Le seul et unique centre d'éducation de la ville selon Nelson, dont les principales disciplines enseignées étaient le saut en trampoline et la confection de tissus souples. Ils l'emmenèrent ensuite chez leur marchand de donuts préféré, le seul à oser assaisonner sa pâtisserie avec la fameuse sauce "Luxuria", dont l'ingrédient spécial faisait fureur: du sucre de la mer sucrée. Enfin, chaque membre de la Team Kangoo amena Vladimir chez lui, présentant leur Voyageur à leurs parents tous aussi sympathiques les uns que les autres. La tournée des familles réalisées à coups de rebonds statiques, Nelson annonça à l'Invocateur de Chevaux qu'ils allaient à présent se diriger vers la Zone des Paniers.

« On a un match dans quelques nuits contre la Team Photosynthèse du Royaume Chlorophylle, expliqua le jeune kangourou dans un moment de suspension aérienne. Du coup on voudrait quand même s'entraîner un peu.
- Ils sont forts ?
- Apparemment ces nazes ont perdu tous leurs matchs de qualification ! Fit Napo. On a pas trop peur.
- Y'a même Dom-la-Championne qui va encore venir nous voir, reprit Archie d'un air rêveur. Elle est tellement jolie !
- Qui c'est ?
- C'est la femme de Gainax 2000, la Reine de Trampoli Parc. La plus belle kangourou du monde ! Enchérit Junior.
- Tu sais qu'elle nous soutient pour la compétition junior inter-Royaumes de basket onirique ? Demanda, tout fier, Kévin.
- Vous devez être des sacrés basketteurs alors, s'étonna le Voyageur.
- Attention à ta tête Vladimir ! Prévint Nelson. Ouf, c'est pas passé loin. Fais attention aux poteaux électriques qui dépassent parfois des trampolines, notre ancien coach s'est fait très mal à cause de ça une fois.
- Oula oui, merci Nelson.
- Pas de quoi !
- On est les meilleurs ! Reprit Archie pour répondre au jeune homme. On a pas perdu un seul de nos matchs de qualification, alors ouais on a pas du tout peur de la Team Photosynthèse. On va même se la couler douce sur le terrain ! »

Pas complètement en accord avec l'état d'esprit des jeunes kangourous quant à leur confiance en eux, Vladimir s'apprêtait à leur dire quelque chose lorsqu'ils tombèrent sur un petit groupes de créatures accompagné d'un Voyageur. Le gars sortait de l'adolescence, il n'était pas beaucoup plus jeune que lui. Sous ses yeux, les petits commencèrent à s'insulter copieusement, ce qui lui permit de saisir entre deux gros mots qu'ils venaient de croiser la route de la fameuse Team Photosynthèse. Le jeune Voyageur lui adressa alors la parole.

« Calmez-vous les gars, soyez gentils quand même ! Dit le Great-Rider en se retournant pour adresser un grand sourire à son interlocuteur. Nan, je suis juste de passage et les gamins ont été adorables avec moi, ils m'ont fait visiter leurs coins préférés. C'est là qu'on va aussi, leur match a lieu bientôt je crois ? Je m'appelle Vladimir. Toi, t'es le coach des petits du Royaume Chlorophylle ou c'est toi ? S'enquit-il en regardant l'un après l'autre le garçon et la jeune femme qui avait calmé ses gamins. »

L'arrivée dans la Zone des Paniers ne fit aucun doute lorsque Vlad découvrit un immense espace rempli de parcs de trampolines et de paniers de baskets. Majoritairement occupés par des créatures natives de Boing City ou des kangourous, certains terrains étaient toutefois utilisés par des Voyageurs, des rêveurs et des créatures étrangères pour des matchs apparemment très vivants. Les deux équipes d'ados se défièrent immédiatement et partirent en direction d'une aire bien précise, celle qui serait utilisée pour le match officiel de qualification. De "Boing" en "Boing", Vladimir tenta de suivre ses kangourous et adressa un geste de la main au jeune Voyageur et à sa compagne pour leur indiquer un endroit, avant de s'asseoir dans les gradins de trampoline qui oscillèrent à son contact. Nelson vint alors près de lui.

« On va s'entraîner avec eux, comme ça on va voir leurs tactiques et ils vont voir les nôtres.
- C'est sympa, mais restez gentils.
- T'inquiète Vladimir, fit le jeune kangourou avec son grand sourire à dent de lait perdue. »

Les deux équipes commençaient à se mettre en place tandis que le Voyageur et la jolie créature se positionnaient à côté du Great-Rider. Grani se mit à virevolter devant le visage de son Rider, l'observa un moment d'un air circonspect, avant de lâcher sans préavis:

« On va vraiment se taper l'entraînement des gosses ? Je voulais continuer à sauter moi !
- On va peut-être pouvoir jouer un peu nous aussi. T'en dis quoi ? Demanda Vladimir au Voyageur. »

Vidant ce qui restait de la boisson énergisante apportée par le nommé Joy, Vladimir emboîta le bond à ce dernier pour rejoindre le terrain adjacent. L'adolescent démontra alors l'étendue de ses capacités en un seul tour de magie, marquant un panier impossible. Stupéfait, le Great-Rider laissa échapper un sifflement d'appréciation au moment où son partenaire lui passait la balle. Grani arriva alors près de son oreille et lui parla d'une voix comme soudainement éclairée.

« Killamanjiro, quand il a dit son nom tout à l'heure je savais que je l'avais déjà entendu quelque part ! Sa daronne est dans la ligue S, gamin. Et lui le petit, il a fait parler de lui à la Célestiafest, tu te souviens quand je t'ai fait lire le Dreamag ? C'est l'un des Baby les plus prometteurs. Rien à voir avec toi, quoi.
- Impressionnant ! Fit le jeune homme en tournant la tête vers son Guide.
- Aucune idée de son pouvoir mais le voir à l'oeuvre me fait dire que c'est pas n'importe quoi. Bon courage avec lui, moi j'vais aller rebondir là-bas. »

Répondant au sourire idiot de Joy par un sourire tout aussi bête et enthousiaste, l'Invocateur de Chevaux lança la balle en direction du panier. Lorsqu'elle alla rebondir sur le panneau, il invoqua Ch'gvo. L'animal étira son échine juste à temps pour pouvoir planter ses crocs dans le cuir du ballon, et un léger mouvement du bras permit au jeune homme de marquer. La tête de l'invocation se replia au niveau de la main du Great-Rider et se mit à piailler d'une voix traînante de baba cool:

« J'espère que t'as ma sucrerie sur toi cette fois, Vlad.
- On ira te chercher une pomme après le match, ça marche ?
- Ouais, je compte sur toi pour pas m'enfler, m'ok mec ? »

L'invocation amusa manifestement beaucoup Joy, qui tomba de rire sur leur côté du terrain. La réaction du garçon réchauffa le cœur de Vladimir, à qui une telle innocence parlait naturellement. Ils commencèrent alors leur petit duel, Joy faisant la démonstration d'un pouvoir mystérieux mais très difficile à contrer. Le Great-Rider comptait lui sur sa condition physique et l'apport ponctuel de ses invocations. Pooka dévia une ou deux fois le ballon, cassant alors la trajectoire étudiée par Joy de manière imprévisible, et Ch'gvo lui permit de rentrer un ou deux paniers qui auraient été manqués autrement.

Vlad avait souvent l'occasion de jouer à toute sorte de sports collectifs avec sa fratrie et sa tribu de cousins. Le basket n'était pas son jeu préféré, mais il savait comment positionner ses mains sur la balle et estimer à quel moment la lancer. Il avait développé une technique de dribble certes très urbaine et personnelle, mais rodée. Cependant, l'ado en face de lui mettait sa condition physique à rude épreuve, d'une manière qui n'avait rien à voir avec les parties familiales. D'autant qu'il fut très difficile à l'Invocateur de s'adapter à ces conditions de jeu complètement bondissantes et imprévisibles. Essoufflé, il regarda avec stupeur son partenaire s'envoler littéralement, et achever son mouvement par un magnifique smash dunk. C'est avec un énorme sourire admiratif qui lui rendit son check, et récupéra le ballon.

A ce moment, les gars de l'autre côté du terrain vinrent à leur rencontre pour leur proposer match. Avec eux deux, ce serait un cinq contre cinq, que le Great-Rider accepta avec joie. Il fut rapidement décidé de la composition des équipes, Joy et lui se retrouvant en compagnie de gars qui s'appelaient Toner, Parky, et Shaquolle, respectivement Invocateur des Ressorts, Morpheur Coyote et Contrôleur de la Colle. Le pouvoir de l'équipe adverse le plus remarquable dans de telles circonstances était sans doute celui du Morpheur Kangourou du nom de LeBron. C'est qui très vite dès le coup d'envoie, récupéra la balle et marqua illico un panier à trois points en bondissant si haut qu'il ne fut plus à un moment qu'un point dans le ciel.

La rencontre commença donc ainsi, et les deux équipes s'en donnèrent à cœur joie. Il ne remarquèrent pas tout de suite l'agitation qui, de l'autre côté, se mit à animer les pré-ados. Dom-la-Championne et le fameux Michel Jordano arrivaient ensemble près des gradins, par petits bonds contrôlés. Le basketteur de renom portait la longue tenue noire qu'il avait l'habitude de revêtir pour ses match et ses interviews avec le Dreamag, tandis que la Reine de Trampoli Parc se déhanchait sous un justaucorps synthétique de couleur rose, le visage enjoué par la vision des gamins de la Team Kangoo eux-même en pleine exultation.

Les Voyageurs s'arrêtèrent un moment après que l'un d'eux ait fait remarqué l'arrivée des deux grandes personnalités, et certains commencèrent à blaguer sur le fait qu'ils voulaient impressionner la magnifique créature kangourou. Un peu hermétique à ce genre de blagues, Vladimir se concentrait simplement sur la partie. Il y eut une remise en jeu, et la balle fut rapidement passée au jeune homme, qui la remit immédiatement à Joy. Il y avait pour l'heure une égalité au score, et l'envie de jouer les coqs de certains de leurs adversaires les poussa à muscler leur jeu. L'un d'eux, un grand Morpheur Ours, chargea Joy à toute berzingue dans un violent rebond, cherchant manifestement à lui faire mal plus qu'à récupérer la balle.

L'ours bourra le porteur du ballon, commettant la faute. Le regard mauvais du Morpheur à l'intention de son adversaire ne plut pas du tout au Great-Rider, qui changea son marquage avec Shaquolle pour se rapprocher d'eux. La partie reprit ensuite, jusqu'à ce que Joy permette à leur équipe de reprendre l'avantage d'une courte queue. Du coin de l’œil, le jeune homme perçut l'échange qui eut lieu entre Joy et LeBron après le panier compliqué du garçon. Cette manifestation d'énervement était symptomatique de l'ambiance générale sur le terrain, qui avait bien changé en l'espace de quelques minutes.

Ce qui avait été jusque-là une partie bonne enfant s'était véritablement transformé en basse-cour, chacun des Voyageurs voulant se démarquer des autres et amener son équipe à la victoire sous les yeux de la Reine Kangourou. Sur le terrain d'à-côté, les enfants qui avaient pourtant démontré un véritable esprit de compétition faisaient preuve de davantage de maturité. Nouvel engagement, Joy se remit à contrarier l'équipe adverse en jouant avec la balle comme s'il la contrôlait à distance, et avec une facilité déconcertante qui honorait son statut de Baby prometteur. Des actions que les autres en face percevaient bien évidemment comme une humiliation. Il y eut alors une tentative de panier avortée par un étrange pouvoir, suite à quoi le jeune Killamanjiro demanda son avis à Vladimir.

« Je sais pas trop, j'y ai pas trop réfléchi, fit le jeune homme en souriant. On peut tout à fait marquer parce que je crois pas que ça existe vraiment, la "défense ultime". Si tu peux pas ouvrir une porte, il te reste plus qu'à la défoncer, tu vois ce que je veux dire ? »

A ce moment, l'Ours envoya le ballon dans la tête de Joy, faisant tomber le malheureux à la renverse. Le garçon était manifestement devenu une cible pour l'équipe d'en face, et être témoin d'un tel traitement fâcha Vladimir. Il invoqua aussitôt Alesia, dont la forme lumineuse apparut au-dessus de lui avant que ses membres doublent de volume, se recouvrent de cuir chevalin, et que ses pieds se changent en sabots. Bientôt soutenu par l'ado, le Great-Rider s'empara de la balle et commença à faire des bonds impressionnants. A eux deux, se passant successivement la balle, ils traversèrent l'autre moitié du terrain. Vladimir savait que ses capacités physiques étaient considérablement augmentées avec Alesia, mais c'était comme si quelque chose d'autre le soutenait, quelque chose qu'il ne comprenait pas et à laquelle Joy n'était peut-être pas étranger. Il finit par récupérer le ballon.

La zone restrictive approchant, Vladimir pesa de tout son poids sur le trampoline au dernier atterrissage. La masse musculaire ajoutée à sa constitution physique d'origine fit le travail, emmenant le jeune homme aux limite d'extension du tissu, manquant presque de craquer le trampoline. Là encore, même si le jeune homme devait peser très lourds à ce moment précis, le phénomène n'était pas tout à fait normal s'il ne devait compter que là-dessus. A l'apogée de la descente, il arqua ses genoux, et appuya de toutes ses forces lors du rebond. Il réalisa alors un saut prodigieux, égalant ceux de LeBron, et brandit haut le ballon lors de sa retombée, prêt à dunker de toutes ses forces. Il sentait bien que le poids du ballon lui-même n'était pas le même qu'en début de partie, mais ignorait parfaitement que Joy devait être à l'origine du phénomène.

Un seul objectif en ligne de mire, le cerceau. Le cercle métallique rouge se rapprochait à toute allure. Vladimir arma ses bras, contractant tout la masse musculaire qu'il était capable de concentrer en ces deux points très précis. Quelque part sur le terrain, le même type qu'avant beugla « Wall ! » Ce à quoi répondit le jeune homme par un cri d'effort en smashant la balle dans le panier. Toute la structure fut ébranlée par le choc, cédant à l'impact. Sous la balle, la barrière magique céda presque instantanément. Le panier entier explosa littéralement, et le Contrôleur des Barrière émit un beuglement étrange, crachant une gerbe de sang sur le trampoline à ses pieds avant de tomber à genoux. Vladimir atterrit, rebondit, et se laissa tomber sur le dos mollement en constatant les dégâts.

« Oula, j'y suis peut-être allé un peu fort, fit-il en se grattant le crâne. »

Les gars de l'équipe adverse allèrent s'inquiéter du défenseur de leur équipe, qui semblait avoir du mal à se remettre de l'assaut de Joy et du Great-Rider sur sa barrière. Devant un tel fracas, les gamins du terrain d'à-côté arrêtèrent un moment leur match, et l'attention de Dom-la-Championne et de sa star de compagnon fut captée dans leur direction. Vladimir se releva, adressa un regard désolé à Joy et fit de petits bonds pour aller voir l'Invocateur de Barrières. Le match était manifestement terminé, puisque de toute façon l'un des camps n'avait plus de panier.

« Kôf, kôf ! Toussa le défenseur en voyant arriver Vladimir au milieu des autres. Putain vous êtes des malades !
- Aah... J'suis désolé vieux. Je me sens super mal, je m'attendais pas à ce que ça te touche directement.
- Mes barrières sont des extensions spirituelles de moi-même, merde ! Kôf, kôf. J'ai pas eu le temps de la révoquer en te voyant arriver...
- Tu veux que je t'emmène à l'hosto ? Doit y avoir ça dans le coin non ?
- Laisse tomber, fit le Morpheur Ours en poussant Vladimir le cul parterre. T'en as assez fait. »

La tension venait encore de monter d'un cran et l'Invocateur de Chevaux tenta d'apaiser les choses en levant les bras, marquant vraiment sa volonté de ne pas envenimer la situation. LeBron s'interposa pour tenter de calmer le Morpheur. A ce moment-là une voix sévère retentit derrière eux.

« J'apprécierais que la paix de Trampoli Parc ne soit pas troublée par une querelle entre Voyageurs. »

Tous se retournèrent vers l'origine de l'invective, découvrant Dom et Jordano non loin du panier détruit. La Reine les toisait en fronçant les sourcils, les bras croisés, tandis que la star du basket onirique semblait s'amuser de la situation. Instantanément, Toner et Parky se mirent à jouer des coudes sur eux-même pour se motiver comme des débiles, et les autres semblèrent se calmer.

« Et la Zone des Paniers n'est pas une zone de guerre, reprit la Reine. On ne détruit pas les infrastructures pour s'amuser. Qui est responsable ? »

Plusieurs doigts désignèrent Vladimir, qui aperçut Grani arriver en vitesse d'un air ulcéré. Le Great-Rider se releva et alla se mettre devant la kangourou pour s'excuser, affichant une mine mal à l'aise, à la manière d'un gosse prit en flagrant délit de bêtise en école élémentaire.

« Je suis désolé, madame. Je paierai pour les réparations ou j'aiderai à la reconstruction du panier. »

« Hé ben ! Fit Grani après avoir été témoin du discours du garçon. Il sait bien parler ce Joy. Il est bien plus finaud que toi, pourquoi c'est pas lui le Great-Rider ?
- Ha ha ! Rigola Vladimir en tapant la main de son partenaire. Je t'aime bien, Joy ! Fallait pas risquer de te mettre dans la merde pour moi, c'était pas grave si je prenais pour tout le monde, et puis je suis quand même un peu plus responsable que les autres. Mais merci, mec ! Termina-t-il dans un grand sourire chaleureux. »

Grani s'éloigna de nouveau pour rebondir plus loin, apparemment très intéressé par la suite des événements. L'accord passé avec Michel Jordano sembla d'ailleurs donner du baume au cœur à tous les Voyageurs, honorés qu'ils étaient de partager le ballon avec une star pareille. En s'apercevant que leur idole allait jouer, les gamins à côté décidèrent de suspendre leur match pour le regarder faire.

La partie se jouerait donc en un panier, sur un seule moitié de terrain, et les perdants répareraient la casse. Ça avait l'air équitable aux yeux du Great-Rider, qui se mit en position alors que la balle était remise en jeu. Respectant le plan stratégique de Joy, il alterna entre ses trois compagnons chevalins pour bourrer l'ours avec l'impact physique d'Alesia et tromper la vigilance de LeBron en faisant tourner la balle autour du Morpheur Kangourou à l'aide de Ch'gvo. Pour finir, il fonça grâce au concours de Pooka jusqu'au panier tandis que l’Équestre Farceur lui remettait de la tête les balles qu'il lui envoyait afin de passer les autres défenseurs adverses. Mais alors qu'il s'apprêtait à marquer, c'est Jordano en personne qui s'interposa entre lui le cerceau, récupérant le ballon comme si de rien n'était.

La star de basket onirique tenta alors de marquer à son tour, mais les interventions successives de Joy et de Shaquolle l'en empêchèrent, alors même que Pooka obstruait la trajectoire du joueur en virevoltant un peu partout autour de lui, visiblement très amusé par la partie. A un moment, le ballon atterrit sur la tête de l'invocation, qui la remit à Joy. Le garçon réalisa alors l'action de la nuit, s'envolant littéralement après avoir jeté la balle, et Vladimir s'apprêta à crier victoire lorsque Jordano la confisqua.

Il y eut plusieurs projections de colle au moment où la star retombait sur le panier, qu'il esquiva en tourbillonnant sur lui même, avant de faire passer Pooka entre ses jambes rien qu'en posant sa main sur la crâne du petit poney volant. Juste avant le dunk final, Vladimir étant trop loin pour arrêter le basketteur, il voulut invoquer Ch'gvo pour s'accrocher au cerceau et s'attirer au bon bon endroit. En arrivant au contact de Jordano, ce dernier l'écrasa littéralement sous sa présence physique et fit trembler l'armature du poteau en marquant. L'Invocateur de Chevaux se laissa choir de dos sur le trampoline, la mine ensoleillée par ce qui venait de se produire, incapable de penser autre chose que son admiration pour la technique et l'habileté de la star.

Il se releva pour aller serrer la main à Michel Jordano ainsi qu'aux autres joueurs, et s'approchait de la Reine et de Joy en compagnie de Toner, Parky et Shaquolle. Les deux compères un peu idiots se foutaient toujours des coups de coude en pouffant bêtement, sous le regard exaspéré du Contrôleur de la Colle. Vladimir rigola, alla se présenter devant Dom-la-Championne pour écouter ce qu'elle avait à leur dire.

« Je te remercie, madame. Heu, Dom ? Je me suis pas trompé Grani ?
- Majesté serait quand même plus approprié, annonça le Guide en s'amenant de nouveau. Je vous prie d'excuser l'impertinence de Vlad, Majesté.
- Hé les gars, intervint à ce moment Michel Jordano en s'approchant. Si vous voulez venir vous entraîner un de ces quatre avec moi, y'a pas de souci. Votre style est intéressant. Autant toi le grand, tu tiens la distance avec tes canassons, autant toi, le petit, tu fais des trucs que j'ai du mal à comprendre et qui poseraient grave des problèmes aux meilleurs joueurs de Dreamland.
- Ha bah ouais, super, carrément, répondit le Great-Rider en souriant. Dites, vous êtes venus tous les deux pour voir la Team Kangoo ?
- Voir mes petits protégés s'entraîner me détend, répondit la Reine qui avait depuis un moment déjà fait tomber son air sévère et qui commençait à se diriger vers le terrain adjacent tandis que les pré-ados se remettaient en place avec les yeux brillants. Michel pense qu'ils sont des futures stars et qu'ils le dépasseront sur tous les plans une fois qu'ils auront atteint l'âge adulte.
- Et pas qu'un peu, précisa la star. La relève sera bien assurée. »

Tous s'installèrent près des gradins pour observer la suite de l'entraînement commun, qui se résolut rapidement par la conclusion qu'effectivement, les petits kangourous avaient un niveau supérieur à celui des petits de la Team Photosynthèse. Néanmoins, comme l'avait pressenti Vladimir sans avoir eu l'occasion de s'exprimer à ce sujet, la trop grande confiance des jeunes kangourous les poussait facilement à l'erreur et ils laissèrent leurs adversaires profiter de cette faiblesse pour marquer quelques points bien sentis. La monitrice de ces derniers sembla surveiller sa montre à un moment et décida d'interrompre le match pour permettre à ses gamins de s'hydrater. Sa mission était de ramener les petits entiers, et ils s'étaient beaucoup dépensés. Celle qui s'était présentée comme Hedna un peu plus tôt lors de leur brève discussion autour d'une boisson énergisante s'inclina respectueusement devant Dom-la-Championne et présenta un par un ses petits garnements avant de prendre Joy à parti pour lui demander de rester en contact avec elle à l'issue de cette nuit s'il voulait un jour visiter le Royaume Chlorophylle.

La Team Kangoo quant à elle se pressa autour des gradins pour présenter ses respects à leur Reine et démontrer leur admiration pour Michel Jordano. Après quoi Nelson secoua la manche de Vladimir.

« Hey, Vladimir ! C'était incroyable ce que vous avez fait avec l'autre Voyageur tout à l'heure, vous avez tenu tête à Michel Jordano !
- Tu crois ? Fit Vlad en souriant.
- Bah ouais on vous a vus ! C'était génial ! Tu nous apprendras ?
- Tu sais, c'est surtout grâce à mon pouvoir que j'ai pu être un peu performant...
- Hé, fit Toner à côté, et nous on compte pour du beurre ?
- Nyark, rétorqua Parky de son rire de coyote, laisse tomber t'as bien vu qu'on a fait que de la figuration tout du long.
- Nan les gars, répondit Vladimir en leur souriant. C'est toute l'équipe qu'a fait son boulot. On aurait pas tenu trois secondes sans vous.
- Il est temps de réparer vos dégâts maintenant, Voyageurs, fit Dom en claquant les doigts à l'intention d'un employé de la ville qui passait par là. »

Elle lui donna quelques instructions et le gars partit en bondissant, pour revenir quelques minutes plus tard avec le matériel nécessaire, à savoir échelle, boîte à outils, plexiglas et barres de métal. En voyant tout ça, les gars de l'équipe adverse qui avaient continué à jouer de leur côté sous le regard fatigué de l'Invocateur de Barrière s'arrêtèrent et s'approchèrent. Le Morpheur Ours alla directement présenter sa main à Joy pour s'excuser, et LeBron prit la parole au nom des autres.

« Ok, on va vous aider à réparer, même si on a gagné ce serait pas tout à fait loyal de profiter de la présence de Michel Jordano dans notre équipe. Avec plus de mains et plus de pouvoirs, ça devrait aller vite.
- Voilà un bel esprit, Voyageurs, répondit la Reine. Lorsque ce sera fini, passez donc tous me voir au palais. Ce genre d'attitude sportive me plait beaucoup, tout comme elle plairait énormément à Gainax. Je vous ferai préparer à tous un repas royal. Vous venez, Michel ?
- Ouaip Majesté. »

Alors que la Reine et la célébrité sportive s'éloignaient, ce dernier adressant un signe général de salutations aux Voyageurs, ces derniers attrapèrent les outils et se dirigèrent vers le panier pour commencer à réparer. L'ambiance était totalement redevenue bon enfant, la bonne entente générale se retrouvant ponctuée de l'enthousiasme de revoir Dom. Vladimir attrapa un cerceau et entreprit de le fixer sur une plaque de plexiglas, étant aidé par les petits kangourous et les gosses de la Team Photosynthèse qui décidèrent de ne pas les laisser comme ça.

« Dis-moi, Joy, fit Grani en se mettant sur l'épaule de Vladimir, c'était comment la Célestiafest ? Deus est-il toujours autant... lui-même ?
- Il a peut-être pas envie de parler de ça... Intervint le Great-Rider en tapant du marteau. Moi ce qui m'intéresse c'est de savoir les Royaumes et les lieux que t'as déjà visités, ajouta-t-il d'un air enthousiaste. Dreamland est tellement génial, je sais que j'en ai vu qu'une infime partie et la plupart des gens que j'ai rencontrés étaient tous assez cools. Bon, y'a eu aussi quelques connards... Et des paroles, des façons de penser que j'ai encore du mal à comprendre. Un gars comme toi qui a l'air d'avoir déjà un peu roulé sa bosse doit avoir des tas de trucs à raconter. Raconte-les moi ! Termina-t-il dans un grand sourire. »

« Je suis Grani, ancien Cheval Cauchemar et serviteur d'Epona Regina, s'annonça Grani d'un air pompeux et outrageusement fier lorsque Joy lui demanda de se présenter. Je suis le Guide du Great-Rider. C'est lui, là, ajouta-t-il en tapotant négligemment du bout du sabot la tempe de Vladimir. »

L'histoire que le garçon entreprit ensuite de raconter alluma une centaine de soleils dans les yeux de Vladimir. Il l'écouta sans piper mot, s'arrêtant même de taper sur son plexiglas. Les royaumes évoqués lui paraissaient tous plus extraordinaires les uns que les autres, de même que les aventures auxquelles Joy avait participé et les rencontres qu'il avait pu faire.

Il a sauvé un Opéra des rêves avec quelqu'un qui contrôle le temps !

Jamais, quelques semaines plus tôt, il n'aurait imaginé pouvoir un jour formuler une telle phrase, quand bien même il la gardait pour lui. Et puis Joy parla de sa famille, de sa mère, la fameuse membre de la ligue S, du royaume d'où il provenait et d'un autre Voyageur qui semblait être haut en couleurs. Une fois ce récit terminé, Vladimir reprit son ouvrage avec entrain, un grand sourire sur les lèvres.

« C'est génial ! s'exclama-t-il en se relevant pour aller planter la nouvelle armature à la place de l'ancienne, celle-ci ayant été préalablement arrachée par l'Ours. J'ai tellement hâte de découvrir tout ça moi aussi.
- Pour le moment, tu dois encore finir de traverser la Première Zone j'te signale, le reprit Grani. Jusqu'à maintenant t'as atterri un peu n'importe où parce que c'était des endroits que t'as déjà pu visiter en tant que rêveur lorsque tu faisais pas des cauchemars à mon sujet. Mais c'est terminé, on a fait le tour. La nuit prochaine tu devras repartir de Saharia si tu veux continuer à progresser.
- Ah bon ?
- Je t'en avais parlé dès ton arrivée à Dreamland, gamin. En tant que Voyageur, tu ne peux pas apparaître n'importe où, mais uniquement dans des endroits déjà visités. La seule exception étant lorsque tu penses à quelqu'un avant de t'endormir. Si la personne en question est déjà là, tu te retrouveras à ses côtés, mais si elle n'est pas là, tu peux arriver n'importe où. C'est comme ça que t'as pu aller à la Dream Box dès le début de ton Voyage.
- Ça a un côté rassurant, répondit Vladimir en observant Shaquolle fixer le filet au cerceau. Ça veut dire que la découverte est une vraie aventure. T'es pas d'accord Joy ?
- Surtout que ça te permet de rester en vie, et par la même occasion, moi aussi. Parce que tu vois, Joy, continua le petit cheval de trait volant en s'adressant directement au garçon, Vlad a la fâcheuse tendance de s'attirer des ennuis. J'crois qu'il est un peu maso sur les bords. Puisque tu viens du Royaume d'Euclide, t'aurais pas une formule pour arranger ses lacunes ? Nan, j'imagine que nan.
- Laisse tomber Grani, aide-nous plutôt à bosser. »

Les Voyageurs terminèrent de réparer les dégâts causés par le match de basket puis partagèrent une tournée de boisson énergisante. Les gamins de la Team Kangoo, quant à eux, s'en allèrent les uns après les autres pour aller rejoindre la douce chaleur de leur foyer. Nelson, qui fut le dernier à rester aux côtés de Joy et de Vladimir, sauta au cou de ce dernier au moment de lui dire aurevoir.

« Tu reviendras Vladimir hein ?
- Ha ha, bien sûr Nelson. »

Le jeune kangourou lui faisait beaucoup penser à son petit frère Nikolaï. S'ils ne partageaient peut-être pas le même talent pour le basket, ils en avaient le même amour. Ils avaient également une manière similaire de s'exprimer, des mimiques et des attitudes ressemblantes, et un sentiment d'affection particulier animait l'Invocateur de Chevaux lorsqu'il le regardait. A tel point que l'idée traversa l'esprit du jeune homme que la créature était peut-être issue de l'esprit de Nikolaï lui-même. Cette pensée mise de côté, le pré-ado s'éloigna en bondissant, adressant de grands gestes au Voyageur.

Lorsque tout le monde estima qu'il était temps de se rendre au palais de Boing City, tout le groupe décida de quitter la Zone des Paniers. LeBron savait où aller et menait l'équipe, ce qui donna une nouvelle occasion à tous de chercher à prouver sa supériorité de coq. Il y eut des concours de rebonds, de vitesse, de technique à mesure qu'ils se déplaçaient dans la cité des trampolines, si bien que certains manquèrent à plusieurs reprises de déclencher des combats avec d'autres créatures ou Voyageurs en provoquant des collisions et des accidents. Il fallut un trésor de patience et de diplomatie pour les plus bavards afin d'éviter l'émeute lorsque le Morpheur Ours renversa littéralement le leader d'un clan de loups en visite diplomatique.

Ils parvinrent malgré tout tant bien que mal aux portes de l'immense bâtisse de trampoline, qui avait la forme d'un stade olympique de petite taille. A l'entrée, une cohorte de gardes en tenue d'athlètes les arrêtèrent pour leur demander leur identité. Ils durent patienter un certain temps avant qu'on les laisse entrer et que l'un des soldats les guide à travers les couloirs. Ils furent finalement amenés dans un immense vestiaire au sein duquel avait été dressé un buffet.

« Gainax a demandé les meilleurs plats de sportif à nos cuisines, fit la voix de Dom-la-Championne en se levant du bout de table duquel elle était assise. Il a beaucoup aimé le récit que je lui ai fait de vos prouesses et de votre esprit fair-play. Chacun de vous aura désormais le libre-accès aux zones d'entraînement du palais pour venir pratiquer le saut de trampoline. Asseyez-vous, nous pourrons commencer à parler de contrats sportifs au cours du repas, termina-t-elle en reprenant sa place. »

Vladimir adressa un coup d’œil affamé à Joy en voyant l'ensemble des mets qui étaient disposés sur la table, et fut l'un des premiers à aller s'empiffrer, de poulet onirique et de pâtes au blé des songes, de steak de bison-bulle et de frites de pommes de ciel, de donuts au miel de la forêt des rêves et de nougat aux amandes molles. Sous le regard amusé et délicat de la Reine Kangourou, les Voyageurs partagèrent un banquet de rêve.

« Tu sais quoi, Joy ? Demanda Vladimir entre deux bouchées goulue. Si chacune de nos rencontres se finit comme ça, j'te propose de résilier tous tes forfaits cantine. »

Le banquet de célébration battait son plein, Vladimir mordant un met après l'autre sans se préoccuper de la présence des petits rois et des diplomates qui les avaient tous rejoints à table. Le point de vue de Joy sur le Voyage lui avait plu énormément, il avait raison, les autres et les rencontres constituaient les points cardinaux de la carte aux trésors du monde des rêves.

Cronch, cronch !
« Ah ouais vas-y, fit le Great-Rider les joues gonflées par les victuailles, passe-moi un peu de grenouille-trampoline ! »

A ce moment le Seigneur du Royaume fit son entrée, nommé "Gainax 2000" par Grani, et vaguement suivi du regard par un Vladimir complètement accaparé par toute la nourriture qui passait dans ses couverts, entre ses mains, par son gosier. Le match avait définitivement éveillé son appétit de cheval et il lui semblait impossible de s'arrêter tant que de nouveaux plats seraient amenés à table. Chose qui se produisait quasiment toutes les cinq minutes, les serveurs en tenue d'athlétisme ayant établi un relais de petits bonds pour ne jamais laisser vide le moindre plat.

Cronch, cronch !

On présenta deux papiers à Vladimir, intitulés en gras "Coach Social de l'Equipe Junior de Basket Onirique" et "Joueur remplaçant de l'équipe de réserve de Basket Onirique, Ligue Professionnelle, sous la tutelle de Michel Jordano". D'un geste rapide et presque nonchalant, il apposa sa signature sur chacun des deux contrats pour rapidement revenir à la bouffe. Puis, sous son regard affamé, le Morpheur Ours et LeBron se mirent à gueuler lorsque la Reine Kangourou leur annonça que leurs contrats à eux étaient annulés.

La tension semblait monter d'un cran et Vladimir se mit à froncer les yeux tout en mastiquant sans la moindre gêne. L'attitude des deux Voyageurs et leur total mépris à l'égard de Dom-la-Championne le ramena à ce que Joy avait évoqué un peu plus tôt dans la nuit à propos des Meteors. Grani lui avait expliqué qui étaient ces gens après que le fameux Front de Libération des Voyageurs eut fait ses frasques à la Dream Box, mettant les deux groupuscules dans le même panier anti-créatures. L'attitude du kangourou et de l'ours ne plut pas du tout au Great-Rider, mais ce fut le Voyageur des Maths qui finit par intervenir, jouant aux billes avec son pouvoir, menaçant de mort les deux énergumènes. La menace fit tiquer l'Invocateur de Chevaux, qui, sans s'arrêter de manger, assista au savon passé par Dom et à l'annulation des contrats pour le garçon. Puis, il adressa la parole à celui-ci alors que les deux fauteurs de troubles se faisaient emmener par la garde.

Cronch, cronch !
« Ce genre de types méritent une bonne branlée mais peuvent toujours avoir l'occasion de se racheter, tu crois pas ? T'avais l'air complètement prêt à exécuter tes menaces... T'as déjà tué quelqu'un dans Dreamland ? »

Grani, entre deux morceaux de pomme onirique, frotta sa crinière contre la joue de Vladimir pour attirer son attention sur l'attitude des gardes qui avait changé à leur égard. Le jeune homme constata distraitement que les créatures les regardaient, Joy et lui, d'un air des plus circonspects suite au coup d'éclat du cadet Killamanjiro. Il haussa les épaules et se contenta de se resservir. A ce moment, les premiers soubresauts commencèrent à répandre de légères ondes à la surface des liquides dans les récipients. Complètement accaparé par la bouffe, le Great-Rider ne le remarqua bien évidemment pas.

Et puis, petit à petit, des bruits sourds se mirent à soulever des murmures parmi les convives, et la bâtisse elle-même se mit à trembler de partout, au rythme des ondulations des milliers de trampolines qui la composaient. Plongeant une cuisse Carotte-Lapin droit dans son œil au lieu de la caler dans sa bouche à cause d'un changement soudain de dénivelé, Vladimir finit par relever la tête de la nourriture et observer ce qui se passait autour de lui. Tout tanguait de partout en répercussions bondissantes, de plus en plus fort à mesure que quelque chose semblait se rapprocher. Soudain, les doubles battants de la porte du vestiaire de réception firent un aller-retour fracassant dans la tronche d'un type gigantesque.

Cronch, cronch !

Mastiquant, avalant, enfournant et se resservant sans même regarder ce que prenaient ses mains, Vladimir suivit la scène du regard d'un air neutre, un peu curieux de ce qui se passait. Le colosse à poil voulut vraisemblablement menacer le Seigneur de Trampoli Parc, mais fut stoppé par un flash lumineux. A l'atterrissage, c'est une grande jeune femme qui se manifesta, toute d'armure vêtue. L'aura de la Voyageuse irradiait de bienveillance, une sensation qui arracha à l'Invocateur de Chevaux un sourire déformé par sa bouchée. Gainax 2000 alla bondir pour accueillir la jeune femme, faisant rire le Great-Rider de par son attitude bondissante presque vitale, que le Voyageur trouvait irrésistiblement amusante. S'ensuivit un échange entre la fille et Gainax, auquel Vlad ne comprit pas tout, hormis que le nudiste gigantesque étalé parterre était un natif du Royaume. Il la suivit des yeux alors que sur l'invitation du roi, elle franchissait, bondissante, la distance qui la séparait de la table pour venir s'installer à côté de lui.

« Mh ! Fit Grani en avalant un morceau de pomme de travers lorsqu'elle frappa sur la table et que son tour impressionnant lui permit de se rendre compte de qui elle était. C'est... Keuf ! Keuf ! Bleurgh ! »

Le Guide se mit à s'étouffer, alors que la nouvelle venue semblait reconnaître Joy et lui demandait des nouvelles de sa mère. Vladimir tapota doucement l'épaule de l'ancien Cheval Cauchemar pour lui faire cracher son morceau. La créature chercha à reprendre son souffle et s'éleva un peu de la table, aspirant goulûment l'air qui lui avait manqué pendant quelques secondes, au moment où la Voyageuse en armure le taquina. Vladimir, toujours en train de manger, observa d'un air amusé le petit cheval de trait volant chercher à esquiver les chatouilles en tentant de protester sous ses propres rires nerveux et incontrôlés.

« Ho, mais... Hé hé ! Arrête... ! Hé hé hé ! »

Cronch, cronch !

Vladimir adressa un sourire chaleureux à sa nouvelle voisine de table. Tout en mordant dans un fruit qui lui passait sous la main, il lui tendit machinalement, presque instinctivement et sans même y faire gaffe, une assiette de salade de pétales de ce qui avait été annoncé comme des roses bleues et blanches du royaume Chlorophylle, les plus jolies, les plus pures et les plus délicieuses de Dreamland. C'était un geste de bienvenue certain, une invitation manifeste à se servir à manger, et l'attitude du garçon n'était pas différente d'avant l'arrivée de la Voyageuse. Mais son subconscient essayait peut-être de lui communiquer quelque chose qu'il était à l'évidence incapable d'envisager.

« Tu connais Joy ? Fit-il en s'adressant à elle, la mine ensoleillée. Tu t'appelles comment ? Demanda-t-il en toute innocence. Moi c'est Vladimir ! »

Elle s'appelait donc Ania, un prénom qui évoquait à Vladimir les sonorités des filles de sa famille. Il ne comprit pas immédiatement pourquoi la première réaction de son interlocutrice avait été une mine de surprise, mais lorsqu'elle répondit à son sourire, il fut gagné par une vague d'énergie positive, irrépressible, puissante. Elle lui communiquait son état d'esprit lumineux sans chercher à le faire, rien qu'en établissant un lien avec ses yeux. Pourtant loin d'être en proie à la nervosité jusqu'à présent, le garçon se sentit apaisé. C'était comme regarder quelqu'un qui semblait le refléter à la manière d'un miroir. Une âme qui résonnait en écho avec la sienne.

J'aime bien cette fille. Se dit-il sans même s'en rendre compte.

Ania tourna la tête pour répondre à Joy, et Grani en profita pour attraper son Rider au visage et lui cracher ce qu'il avait désespérément tenté lui annoncer depuis le début. Haussant les épaules, Vladimir tendit le bras pour attraper l'une des dernières parts de dessert qui restaient encore à table. Nul doute que les cuisiniers et les employés de table de Gainax se souviendraient de la visite du Great-Rider au sein de leur palais.

« Ok, donc elle est forte. Elle est surtout très sympa, c'est ce qui compte, non ?
- Tu savais même pas qui c'était il y a trente secondes !
- J'ai pas besoin de ça pour savoir que je l'aime bien. J'me fous du passé des gens, tu le sais très bien.
- C'est pas ça l'important, ton avis compte pas en fait ! Qu'est-ce qu'elle pense de toi, elle ? Ça, ça compte ! Et pourquoi ? Parce qu'elle est à la tête de la Ligue S, et toi au fin fond de la Baby !
- Nan t'as tort, Grani. »

Grani se matraqua le front avec son propre sabot, sans doute de plus en plus convaincu qu'il ne parviendrait jamais à s'habituer à l'attitude de son Voyageur. Vladimir, lui, concentra son attention sur la discussion que Joy entama avec Ania, déglutissant ses dernières bouchées dans la foulée. A mesure que les propos défilaient entre ses deux voisins de table, le jeune homme interrogea Grani du regard pour mieux comprendre ce qui pouvait bien se dire. En parallèle de l'échange, le Great-Rider et son Guide se mirent donc à discuter sur les sujets abordés.

« La mère de Joy cherche un Voyageur Killer, apparemment.
- Ouaip.
- Tu sais qui c'est ?
- Elle est sérieuse ta question ? Comment je le saurais ?
- J'sais pas, je demande. Je sais pas quoi penser de ce que Joy disait tout à l'heure sur ces gars-là, et sur les Meteors... Et d'après ce que tu me dis, le FLV est à ranger dans le même panier. Ça fait beaucoup de gars qui vivent dans Dreamland comme si c'était un jeu vidéo...
- Ils méprisent les créatures et les Seigneurs, ouais. Les Killers c'est encore un cas à part, comme on en a déjà parlé. C'est surtout les Voyageurs qu'ils visent, eux.
- Mais être Voyageur c'est génial. Pourquoi est-ce qu'ils gâchent tout en voulant tout détruire à côté d'eux ?
- T'as croisé Diavolo Mayor, Raas'En'Hal et Maghior... Ania et Joy viennent d'évoquer Deus, qu'est pas un rigolo non plus si t'écoute bien ce qu'ils disent. Est-ce que ces créatures, qui sont tous des Seigneurs, te paraissent dignes ne serait-ce que de ta confiance ? Comprends bien, je prends aucun parti, j'essaie de te faire comprendre le point de vue que d'autres peuvent avoir sur ce genre de questions.
- Deus a l'air de quelqu'un que j'aimerais pas des masses. Les autres sont pas non plus les personnes plus cools que je connaisse, mais je suis sûr qu'ils pourraient tous être meilleurs. Diavolo a ses bons côtés. Et puis je n'ai pas croisé qu'eux. Y'a eu Maahes, et Carvey. Carvey est pas forcément très dévoué, mais ce n'est pas une mauvaise personne. Maahes, lui, c'est la bienveillance à l'état sauvage. En plus regarde, Gainax et Dom, ils sont gentils et généreux ! Et Epona Regina... Qui voudrait lui faire du mal ?
- T'as déjà répondu à ta question. Certains Voyageurs ne considèrent pas les créatures comme des personnes. Pour eux, on n'est que des choses imaginaires. Alors, comment des choses imaginaires pourraient vouloir s'affirmer supérieure et mépriser des Voyageurs, comme le font des rois comme Deus et Raas' ?
- Birdie disait ça. Le côté imaginaire, j'veux dire, elle en parlait.
- M'étonnerait pas que la petite finisse chez les Meteors ou au FLV, si tu veux mon avis. Joy est un gamin malin. Il a raison quand il dit que pour beaucoup, le meurtre ici n'est pas grave. C'est pour ça que j'ai énormément de mal avec tes pulsions casse-cou à toujours vouloir sauver tout le monde. Le moment arrivera, plus tôt que tu le crois, où tu te retrouveras face à un type qui ira jusqu'au bout. Si tu te bats pas à armes égales contre un mec pareil, tu disparaîtras. Et moi avec.
- J'ai déjà failli mourir dans le réel pour les mêmes raisons. C'est ce qui m'a permis de devenir Voyageur, et d'arrêter d'avoir à craindre les chevaux. De m'améliorer encore. C'est pas un argument que d'me dire que je risque de crever. En fait tu vois, je crois plutôt que ça me donne encore plus envie de continuer comme ça. Je sais que je mourrai pas ! Ajouta-t-il, vraisemblablement absolument convaincu de ce qu'il racontait. »

A ce moment, la voix de Joy fit vriller les tympans de Vladimir, qui esquissa une grimace. La conversation bifurqua alors sur un nommé Silva, et à mesure qu'elle sombrait dans un aspect qui paraissait négatif à Vladimir compte tenu de l'ambiance générale qui retombait comme une chappe de plomb, Ania semblait se refermer.

« Silva, c'est qui ?
- Un Juge Meteor, apparemment. Ceux qui les dirigent, si j'me trompe pas.
- Deus peut montrer leur avenir aux gens ?
- Avec un peu de chance, un jour on passera par le Royaume du Temps et t'auras peut-être l'occasion d'expérimenter à ton échelle ce que c'est, la temporalité dans Dreamland. Ou peut-être que tu pourras faire la prochaine Celestiafest, et rencontrer toi-même le fameux roi du ciel. Tu verras à ce moment-là que tout ça est très compliqué. Je suis pas sûr de pouvoir tout bien t'expliquer moi-même... Mais ouais, Deus a le pouvoir de prédire les avenirs. »

A ce moment là, la conversation entre le jeune Ligue B et la leader de la Ligue S sombra dans une tonalité foncièrement négative. Ania évoqua quelque chose qui toucha directement le cœur de Vladimir, à savoir sa maladie, et versa une larme qui ne lui échappa pas non plus. Faisant immédiatement sienne la douleur de la Voyageuse, Vladimir perçut la souffrance qu'elle avait à prononcer les mots qui sortaient de sa bouche. Elle finit par mettre en garde le garçon contre sa volonté de défendre le monde des rêves, et quitta la table. Il y eut alors un moment de silence, tous les regards tournés vers Joy d'un air accablant. Ce fut Vladimir qui rompit le silence en tapant amicalement l'adolescent dans le dos et en prenant la parole d'une voix forte, le sourire jusqu'aux oreilles.

« Il est vachement bon, ton repas, Roi Gainax ! Est-ce qu'il y en a encore ? Tout le monde a super faim, j'en suis sûr ! »

Dom-la-Championne posa sur lui des yeux d'abord incrédules, puis ferma les paupières et esquissa un sourire à son tour, comme gagnée par la bonne humeur du garçon. Après quoi elle tapa dans ses mains, donnant le coup d'envoi au service de table pour une nouvelle fournée de gâteaux en tout genre. Vladimir adressa un clin d’œil à Joy alors que les conversations reprenaient autour de la table. Il demanda ensuite à Grani de se tenir tranquille en le laissant se ruer sur les pommes. Se levant de sa chaise, le jeune homme traversa le vestiaire par petits bonds, et disparut derrière la porte à double battants.

La silhouette d'Ania était déjà loin dans le couloir, aussi se dépêcha-t-il de la rejoindre en forçant sur ses appuis à chaque rebond, ne lésinant pas sur l'effort physique pour aller le plus loin possible. Si bien qu'au moment de rattraper la jeune femme en armure, Vlad manqua bien sa cible de deux ou trois mètres et dut se laisser tomber à plat ventre sur le trampoline pour arrêter sa course. Rigolant à gorge déployée de sa maladresse, il se redressa pour s'asseoir en face d'elle.

« En venant par ici j'ai aperçu un quartier un peu spécial, Ania, annonça-t-il après s'être calmé. Je crois que ça s'appelait la Zone des Cimes. Apparemment c'est un grand espace complètement exposé au ciel, au niveau des toits de Boing City, plus ouvert encore que la Zone des Paniers ! Tu connais peut-être déjà ? Si tu veux on peut aller y faire un tour. C'est un truc que j'aimerais voir mais je t'avoue que je saurais pas trop y aller tout seul sans me perdre. »

Il lui sourit comme il savait le faire. Plein de confiance, de calme et de bienveillance à son égard.

Spoiler:

HRP:

Après qu'Ania ait accepté de l'accompagner, Vladimir se releva, enthousiaste. Il sortit du palais en sa compagnie, et se tint silencieux en observant les enfants échanger avec elle. La voir ainsi parler confirma sa première impression. La Voyageuse en armure était quelqu'un qui tenait aux autres, et qui ne laissait pas la notoriété lui monter à la tête. Bien au contraire, au cours de sa déclaration d'encouragement à la petite fille, il lui apparut que tout ça lui pesait.

Ils reprirent leur progression dans la ville et le jeune homme, tout comme sa compagne, demeurait silencieux. Guidé par l'instinct, il savait qu'il n'y avait rien à commenter. Il se contentait de bondir dans son sillage, sans jamais chercher à la rejoindre ou la dépasser. En ce moment précis, elle avait besoin de silence, il en était convaincu sans en connaître les raisons précises. C'est pourquoi il attendit que ce soit elle qui, la première, prenne la parole.

« Depuis vraiment pas longtemps, répondit-il en souriant. Quelques semaines, deux mois et demi, au plus. »

Il l'écoute ensuite évoquer Joy et le fait que son attitude risquait de ne pas demeurer la même s'il persistait dans la durée en tant que Voyageur. Elle lui souhaita de ne pas trop avoir à changer au contact de la dureté de Dreamland, et ses paroles firent écho à ceux que la jeune Invocatrice d'Oiseaux avaient proféré lors de sa rencontre avec Maahes. Cette fois ce n'était pas une débutante qui lui disait ça, c'était la plus puissante et la plus expérimentée parmi les Voyageurs. Pourtant, Vladimir se contenta de sourire. Il était le premier à clamer haut et fort que tout le monde pouvait changer. Jusqu'à quel point pouvait-il croire à cela ? Considérait-il que le monde des rêves et le réel pouvaient avoir de l'impact sur son devenir personnel ? Ou n'y pensait-il simplement pas ?

Il ne dit rien de plus, entièrement focalisé sur le ton de la voix d'Ania, qui revêtaient les mêmes aspects lointains et tristes que lors de son échange avec Joy. Cet était d'esprit arrivait à peiner Vladimir lui-même, qui s'il ne savait pas la raison exacte de son mal-être, le percevait tout à fait clairement. Heureusement, ils arrivaient enfin à la Zone des Cimes, et la Voyageuse de la Lumière évoqua les talents de Gainax.

Il y a combien de ciels ? De cieux d'ailleurs, nan ? S'interrogea-t-il pour lui-même en se grattant le menton du bout du pouce.

Découvrant le spectacle qui s'offrait à perte de vue, le jeune homme laissa là son questionnement. Tout autour, Dreamland s'étendait sans jamais sembler s'arrêter. Une infinité onirique en constant chambardement, que le simple fait de contempler provoquait chez l'Invocateur de Chevaux une sensation inconfortable de petitesse. Sensation qui s'accompagnait également d'un irrépressible désir de découverte, de Voyage.

♪ She's Light ♪

Ils étaient seuls ici. Il n'y avait guère qu'un rêveur qui ironiquement, dormait dans son propre rêve, au loin sur la surface en trampoline. Comme l'avait espéré Vladimir après que la jeune femme ait évoqué son incapacité à voir le soleil, le spectacle de l'astre du royaume de Lumière sembla lui redonner du baume au cœur. Elle se mit à bondir. A chacun de ses rebonds, Vladimir montait et descendait au gré des remous provoqués par l'onde de choc. La voir ainsi plus heureuse qu'une minute plus tôt suffit à le rendre heureux lui aussi. C'était comme ça dans le réel également. Il ne supportait pas de voir qui que ce soit dans la peine et la souffrance. Quitte à la partager, quitte à la supporter lui aussi, le jeune homme s'évertuait sans cesse à soulager la douleur des autres.

Puis Ania retira son armure, se dévoilant dans ses vêtements et ses sous-vêtements alors qu'elle reprenait sa série de sauts. Vlad ne vit même pas vraiment ce qui se trouvait sous sa jupe, il la regardait bondir et la suivait des yeux, l'esprit tourné vers la mention des tenues anti-UV qu'elle venait d'avouer porter lorsqu'elle était éveillée. Qu'elle tombe son armure ainsi ne consistait pas seulement à se décharger du poids métallique. En quittant sa protection, elle s'était aussi révélée à l'intérieur, loin d'une façade qu'elle avait l'habitude d'arborer et que Vlad ne connaissait de toute façon même pas.

La jeune femme finit par se laisser reposer sur le dos, jouant avec de légères sphères de lumière qu'elle puisait directement des rayons solaires. L'Invocateur de Chevaux se laissa tomber à côté d'elle, bras et jambes écartés sur le trampoline qui remuait encore. Il la vit tourner la tête vers lui pour lui sourire, sourire qui s'effaça aussi vite. Vlad la sonda quelques instants en silence. C'était une Voyageuse de la Lumière qui ne pouvait pas s'exposer au soleil dans le réel et qui portait des combinaisons de protection. Le jeune Icarus n'était pas un prix nobel, mais la conclusion logique lui vint à l'esprit. Elle était malade, et sa vie était une succession de privations et de souffrance. C'était pour ça qu'elle tenait à Dreamland, parce que c'était l'endroit où elle vivait vraiment.

« Le jour où je suis devenu Voyageur, commença-t-il en portant son regard sur le ciel, j'ai failli mourir dans le réel. Je me suis pris un coup de couteau en me battant dans la rue. J'ai voulu protéger un gamin en train de se faire martyriser par des types qui voulaient lui piquer de l'argent. Depuis que je suis assez grand pour encaisser des coups, c'est ce que je fais, et cette fois j'ai failli mourir. Je le fais parce que je suis pas capable de laisser n'importe qui faire n'importe quoi sous mes yeux. Mon père m'a dit une fois que c'est parce que je "réclame" de me faire frapper. »

Il sourit, tourna la tête et posa son regard dans les yeux de sa compagne.

« Lui, il a jamais levé la main sur moi. Je lui ai jamais donné de raisons de le faire. Moi, je crois pas que je réclame les coups, ça voudrait rien dire. Et avoir failli mourir m'a pas arrêté dans mes habitudes. Je continue à me battre dans la rue contre des types qui le méritent. J'ai pas changé à cause de ça. La seule chose qu'a peut-être changé, c'est mon envie de continuer. Elle est encore plus grande. Je connais comment les gens fonctionnent, ça m'étonne pas de vous avoir entendu parler avec Joy d'un certain nombre de types pas recommandables qui sont dans Dreamland. J'ai pas peur de les croiser sur ma route, même de me faire défoncer. Je vais devenir plus fort, pour protéger ceux qu'en ont besoin et ceux qui ont peur de demander de l'aide. Rien faire, ce serait ça le pire.

Il marqua un temps d'arrêt. Son interlocutrice le faisait parler beaucoup, bien davantage qu'il n'avait l'habitude de le faire. Les mots sortaient tout seuls de sa bouche, sans qu'il y réfléchisse. C'était un discours honnête, gage d'une inflexibilité morale qu'il tentait d'exprimer avec son propre vocabulaire.

« Dans ma famille, reprit-il, on est très nombreux, et on se sert tous les coudes. Y'en a jamais un qui se retrouve tout seul quand il a des soucis. Mon père, c'est le patron de notre parc d'attraction. Il veut que ce soit moi qui prenne les rênes quand il sera plus là, le plus tard possible j'espère. Pour être honnête avec toi, à part me battre je sais pas faire grand chose. Mais je suis pas tout seul. Mon père est pas tout seul. Toute la famille est là. Mes oncles, mes tantes, mes cousins, mes cousines, mes frères et sœurs. La famille du père Asirem, qui sont des Touaregs qu'ont migré en Amérique et qu'ont voulu nous rejoindre pour travailler avec nous ! Tous ensemble, on fait tourner le Parc Icarus. Ouais, c'est le nom du parc, et c'est aussi mon nom de famille. Le parc, c'est ma famille. On est unis, on peut faire n'importe quoi, rien nous fait peur. Tu sais, c'est la première fois que je rencontre Joy cette nuit. C'est la première fois que je te rencontre aussi. J'ai compris que vous étiez tous les deux très concernés par ce qui se passe dans Dreamland, que vous voulez protéger les rêves. J'ai écouté Joy, et je crois qu'il se trompe en voulant prendre sur lui, lui tout seul je veux dire. Tu es peut-être un peu pareille. Mais le truc, c'est que vous êtes pas tout seuls. »

Il marqua une autre pause assez brève, observant les réactions du visage de sa compagne avant de continuer.

« Vous avez pas à assumer ça sans aide. Tu dis que c'est ton devoir et je pense que tu te trompes. C'est trop lourd à porter. Je suis pas là depuis très longtemps mais je sais qu'il y a des tas de gens biens dans Dreamland, des créatures et des Voyageurs, peu importe. Même ceux qui sont pas les plus honnêtes peuvent devenir meilleurs et participer à leur façon. Tu l'as dit toi-même, "le classement n'est pas une bonne chose". Moi je m'en fous que tu sois première de la Ligue S, je m'en fous complètement du classement, même. Quand je te regarde, je vois juste quelqu'un qui tient énormément aux autres en se souciant trop peu d'elle-même alors qu'elle a déjà suffisamment de problèmes pour sa part. Mais tu peux compter sur les autres, Ania, et t'appuyer sur eux. »

Il lui toucha la main, et sourit jusqu'aux oreilles. Ce qu'il dit ensuite fut assez confus, dans la mesure où ses mots purent s'appliquer aussi bien à Dreamland qu'à la vie réelle de la Voyageuse.

« Faut pas t'inquiéter, tout va bien se passer. T'es pas toute seule. »

En écoutant Ania lui avouer son insécurité, Vladimir l'imita et se redressa, prenant appui sur ses bras rejetés en arrière sur le trampoline. Il la regarda ainsi assise, les genoux encerclés par ses bras, qui l'observait comme une petite fille qui ne voulait pas s'endormir de peur de faire un cauchemar. Pour elle, c'était ne pas se réveiller pour retourner dans son enfer de tous les jours, ne pas avoir à abandonner Dreamland et les seuls moments d'existence qui lui procuraient la force de supporter tout le reste. Il comprenait tout ça pleinement, à présent qu'elle s'ouvrait.

« De l'inconscience, commença-t-il d'une voix calme, je suis d'accord, j'en ai sûrement beaucoup plus que toi. Mais tu te trompes pour le reste, Ania. Je n'sais pas ce que c'est qu'être malade, j'ai pas à me soucier de me réveiller dans la douleur et tous les jours avoir à traverser ce que tu endures. Toi, tu prends sur toi l'avenir des rêves, tu portes ton armure comme... je sais pas, l'image du devoir que tu t'es imposé, sans que personne te le demande. Dreamland est le seul endroit où tu peux vraiment aimer vivre, pourtant, tu empiètes sur ton bonheur pour prendre des responsabilités qui devraient pas être les tiennes. Sans jamais parler de ton malheur à qui que ce soit, sans jamais te soulager auprès des autres. Et à chaque fois que tes nuits se finissent, tu trouves l'énergie pour continuer à avancer, à te lever malgré ta maladie, parce que t'es forte comme ça. C'est pas une force comme l'aura qui t'entoure et qui fait que t'es la meilleure, c'est un truc qui la dépasse de loin. C'est ça le vrai courage, tu comprends ? Souffrir, et pourtant continuer de se tenir debout. »

Il se mit sur le côté de la jeune femme, s'agenouilla et lui sourit. Dans son mouvement, le trampoline remua doucement sous leur poids.

« Je veux pas connaître le nom de ta maladie. Pour moi c'est pas important. C'qu'est important c'est toi, qui te bats bien plus que tu le dis, sans jamais avoir un moment de repos. C'est ça qui fait que tu mourras pas. »

Il annonça sa dernière phrase avec un aplomb déconcertant, véritablement convaincu de ce qu'il disait. Il désirait, plus que tout autre chose à cet instant précis, transmettre cette certitude à son interlocutrice. Après quoi il passa les bras autour de ses épaules et l'étreignit doucement, comme pour partager un peu de sa propre énergie avec elle.

HDJ: