Le Glouton et le Cavalier [Gordon]

« Enfin un peu de normalité dans notre Grande Mésaventure, fut accueilli Vlad par Grani en s'éveillant dans Dreamland. Une Zone à ta portée, aucun prédateur sanguinaire pour nous dire bonjour, non rien de tout ça. »

Le Great-Rider s'alluma une cigarette, tira une bouffée et jeta un coup d’œil à la ronde. Il s'agissait d'une grande étendue verte jusqu'à l'horizon, jalonnée çà et là par des arbres isolés ou des points d'eau. En plissant les yeux, le jeune homme fut en mesure de distinguer des troupeaux de chevaux qui galopaient au loin ou se désaltéraient en toute tranquillité. Un rêveur passa près de lui, chevauchant une bête magnifique qui allait docilement au pas. Le petit garçon adorait visiblement le cheval, rien qu'à voir le brillant de ses yeux. La vision d'un tel calme arracha un sourire au Voyageur.

« Salut Grani, fit-il à l'intention de son Guide, moi aussi j'suis content de te voir.
- T'as raison, fais le malin. Je suis pas plus ravi que toi de devoir te coltiner chaque nuit jusqu'à la fin de tes jours. Mais paradoxalement, plus longtemps tu vivras, mieux je me porterai. Epona Regina a le sens de l'ironie.
- C'est pas en répétant ça sans arrêt que ça va changer la donne. Où est-ce qu'on est ? C'est endroit est superbe. Y'a moyen de trouver un cheval intéressant par ici, peut-être un Maître Cavale ?
- Si un Maître Cavale traînait dans la Plaine Céleste, ça se saurait. Nan, y'a que des mustangs sacrés ici. Ça, puis des rêveurs et des jeunes Voyageurs. Comme toi.
- Des mustangs sacrés ?
- Les troupeaux qui paissent un peu partout. Ils font le bonheur des rêveurs du coin. Pas vraiment des guerriers, navré de te décevoir.
- Pourquoi je me suis jamais retrouvé là dans mes rêves ?
- Parce que t'étais trop occupé à me faire la conversation, tu te souviens ? C'est pas un territoire de cauchemars cet endroit. A la base, Epona Regina voulait mettre la Plaine du Galop-Vent ici. Mais elle a fini par décider que c'était trop impersonnel, alors elle a changé d'avis. »

Au moment où Grani terminait sa phrase, Vladimir sentit un souffle dans sa nuque. En se retournant, il fit face à une magnifique bête à robe brune qui semblait présenter des dimensions autrement plus impressionnantes que le mustang chevauché par le rêveur un peu plus tôt. En plongeant son regard dans les yeux de l'animal, le Great-Rider se sentit enveloppé d'un amour maternel assez inattendu. Il y avait dans l'âme de l'animal quelque chose d'ancien, de séculaire. Il ne fut même pas étonné de l'entendre prendre la parole d'une voix de femme.

« Je vous ai entendu parler d'Epona Regina, tous les deux, fit-elle calmement.
- Heu, c'est pas normal ça, fit Grani à l'oreille de l'Invocateur.
- Ouais, on parlait d'elle. Tu la connais ?
- Tous les chevaux connaissent leur Maîtresse.
- Là elle marque un point.
- Est-ce qu'on peut t'aider d'une manière ou d'une autre ? Proposa le jeune homme en souriant et en s'efforçant d'ignorer le petit cheval de trait volant.
- Est-ce que tu es le Great-Rider ?
- Il paraît.
- Je ne veux pas venir avec toi, je me suis retirée des combats de Dreamland il y a longtemps. Tu devrais quitter la Plaine Céleste, il n'y a rien pour toi ici.
- Hein ?
- Oula oula, on va se calmer, intervint Grani. Déjà le Great-Rider n'est pas là pour toi. Et puis pour qui tu te prends ? »

Sans même prendre la peine de lui répondre, la jument tourna les sabots et leur présenta sa croupe, s'éloignant d'une démarche tranquille. Pendant que Grani pestait et jurait dans tous les sens en réaction à tant d'impolitesse, Vladimir l'observa silencieusement. Il y avait quelque chose de particulier chez cette bête. Il esquissa malgré lui un sourire en coin.

« Je n'aime pas vraiment ton expression, s'interrompit le Guide en apercevant la mine de son Voyageur.
- C'est une Maîtresse Cavale ?
- Non pas du tout, j'ai déjà croisé un Maître Cavale et l'aura qu'il dégageait n'avait rien à voir. Je veux bien admettre que c'était pas une jument ordinaire, mais pas à ce point-là.
- Elle pensait que j'étais là pour pactiser avec elle, c'est au moins un Sabot Commun. Je la veux.
- Alors là, elle a son mot à dire, et j'crois qu'elle a été parfaitement claire avec toi. Tu sais, je pense pas que tu saisisses vraim... »

Grani fut interrompu le bruit d'une cavalcade au loin à l'ouest qui troubla le calme absolu régnant jusqu'alors sur l'étendue sauvage. Une poignée de mustangs sacrés s'enfuyaient dans une direction opposée à la provenance de bruits et de cris étouffés. Vladimir fronça les sourcils et invoqua Celeris. Bondissant en selle dans un mouvement agile, il éperonna l'étalon blanc et le fit galoper en direction du raffut. Grani virevolta dans leur sillage tout en maudissant la propension de son Voyageur à courir au secours de la veuve et de l'orphelin. Le Great-Rider, lui, avait un mauvais pressentiment.

Quelque chose se passe !

Première Zone : Plaine céleste

Encore cet endroit ? C’était ce que s’était dit le gourmet en arrivant une fois de plus dans cet enfer verdoyant.

De tout son long, il était étendu dans l’herbe, étirant ses doigts pour saisir un maximum de brin vert tout en laissant ses yeux trouver des formes dans ces nuages d’un blanc si pur, ses pieds fouettaient l’air et sa respiration se laissait ressentir dans tout son corps, si ce n’était pas de la méditation ça ! Cela devait bien faire quatre nuits consécutives qu’il atterrissait ici… Le problème n’était pas la perfection de ce lieu féérique, il le trouvait même assez intéressant cet endroit au mille et un poneys. C’était plutôt la difficulté qu’il obtenait quant à sa quête de nourriture qui le grugeait de l’intérieur… Encore heureux, il avait déjà réussi à attraper une quarantaine de chevaux dans les derniers jours. Tous dévoré, des sabots à la crinière. Au premier, il s’était senti mal, même malgré la faim qui l’avait forcé à agir, s’était insupportable, la douceur de l’animal n’avait pas suffi à le faire changer d’idée, il avait simplement succombé à ses pulsions et avait arracher la moitié de la jugulaire d’un simple coup de dent bien placé. Il ne lui avait pas fallu plus d’une minute pour avaler avidement tout le reste de l’animal. Il avait ainsi répété l’action sur diverse victime, mais désormais s’était plus difficile, ces foutus chevaux semblaient avoir fait passé le mot… Il se retrouvait donc encore dans la même situation, sauf qu’ici, il mangeait jusqu’à la tourbe pour soutenir son estomac radioactif.

Seulement, la faim ne cessait jamais. Gordon avait si faim, qu’il se dévorerait lui même s’il le pouvait… Son pouvoir était bien simple, une envie le forçait à manger, selon l’objet ou l’être, le gout et l’envie changeait. Il se plaisait à croire que plus l’objet de son festin était raffiné, plus les crises étaient éloignées. Il y avait quand même certain tabou encore inexploré, tel que les autres voyageurs ou créatures dotés d’intelligence équivalente à celle de l’homme, mais pour l’instant, s’était mieux pour lui de s’en tenir aux roches.

Le problème s’était que son pouvoir l’obligeait à manger se qu’il trouvait s’était à le rendre dingue, s’il ne mangeait pas, il devenait violent, comme un homme de Cro-Magnon. C’est pourquoi il se forçait à croquer dans des pierres ou même des morceaux de bois, enfin vous comprenez le principe, tout se qu’il trouvait, il se l’enfonçait dans la gorge, espérant rassasier cette envie pour l’instant infinie…

C’est à cet instant que lui aussi entendit le bruit qui avait un peu plus tôt attiré l’attention du Rider. Sans une ni deux, l’ogre se relevait de tout son long, la bave aux lèvres. Il était temps de satisfaire son ventre une bonne fois pour toutes. Tout en agrippant une seconde pierre qu’il mangea telle une pomme, il commença à courir en direction du bruit.

- Espérons que c’est un de ses chevaux qui s’est cassé une patte, ça me fera un bon repas ! C’est saleté m’enlève l’envie durant quelques heures, c’est déjà ça !

Se dit-il plus pour lui-même que pour qui que ce soit d’autre, car n’oublions pas qu’il était bien seul de son côté.

A mesure que le cavalier et sa monture se rapprochaient de la source de nuisance sonore, le pressentiment de Vladimir semblait se confirmer. Les bruits n'étaient vraiment pas de bon augure. D'abord lointains et étouffés, ils se muèrent en une succession de détonations et de cris de douleur, s'accompagnant bientôt de rires et d'insultes. Au détour d'un point d'eau, Celeris dut slalomer entre un groupe de mustangs affolés qui galopaient en sens inverse. Dans le même temps, l'attention du jeune homme fut captée par des silhouettes humanoïdes en mouvement, à quelques lieues de là. Les chevaux passés, il dirigea le galop de son étalon vers elles.

Celeris ralentit le pas sur les directives de l'Invocateur une fois qu'ils furent à portée de vue et d'oreille, jusqu'à finalement s'arrêter. La situation se dessinait désormais clairement. Il y avait là cinq Voyageurs. L'un deux se tenait au milieu des quatre autres, ses vêtements étaient déchirés et son corps couvert de blessures. Ses agresseurs -puisqu'il était évident qu'ils s'acharnaient sur lui- semblaient prendre un malin plaisir à le voir en larmes, et s'en donnaient cœur joie de le railler sur son impuissance.

« Un clampin pareil ! Fit l'un d'eux, un type bien bâti coiffé comme un footballeur. On est sympa avec toi en t'apprenant maintenant qu'y faut faire attention à qui on parle dans Dreamland.
- "Ouuuin Ouuuin !" Parodia un autre, une espèce de sosie de feu Jean-Pierre Coffe, version urbaine et rajeunie. "C'est ma première mission de Voyageur ! Je dois transmettre un courrier au juge-est-une-femme de Justicity !" Mais ferme ta gueule !
- On pisse sur Justicity, nous ! Beugla le troisième, un petit teigneux coiffé en iroquoise.
- S'il vous plaît... Sanglota leur victime, dont Vladimir avait du mal à distinguer le visage sous les contusions. Laissez-moi partir, je vous ai rien fait...
- Pouhaha ! Ricana le dernier d'entre eux, un grand type au torse nu avec une hache dans le dos et des boucles d'oreilles aux tétons. Non mais sérieux, vous entendez ça les mecs ?
- Mais quel trouduc' ! On le butte ?
- Non, pitié !
- Pas tout de suite, j'ai encore envie de m'amuser un peu avec lui.
- Hé les mecs, fit le petit teigneux en s'apercevant de la présence de Vladimir, y'a un connard qui nous regarde. »

Les bullies et leur captif portèrent leur attention sur Vladimir, qui put déceler une lueur d'espoir dans le regard du pauvre Voyageur. Le jeune homme posa pied à terre et révoqua sa monture, faisant quelques pas en direction du groupe, mais s'arrêtant à bonne distance. Là-dessus, le footballeur, qui semblait être un peu la tête forte, s'approcha à son tour et nargua le Great-Rider d'un sourire moqueur.

« Sympa le pouvoir de merde, fit-il à son intention. Maintenant dégage si tu veux pas d'embrouilles. »

Le Great-Rider attendit un petit moment, jaugeant une à une les faces de ses interlocuteurs. Grani arriva à ce moment-là, s'apprêtant à le sermonner, mais se tut en voyant la scène. Il virevolta dans le dos du jeune homme et alla se poser sur son épaule. Vladimir observa les types d'une mine complètement neutre et indéchiffrable, puis d'une voix calme et curieusement sérieuse pour les mots qu'ils prononçait, il les provoqua ouvertement.

« Vous êtes débiles ou quoi ?
- Hein ? »

Les trois autres délaissèrent leur victime et rejoignirent leur pote à sa hauteur, se mettant en ligne dans une attitude menaçante.

« C'est toi qu'est débile enfoiré, lança Jean-Pierre Coffe, on va te crever si tu te tires pas dans la seconde !
- S'il doit apporter un message à un juge, c'est que c'est important nan ? Souligna l'Invocateur de Chevaux en ignorant parfaitement les menaces.
- Viens pas jouer aux héros, ou tu vas finir comme l'autre merde, t'auras paaaa... euhaaaaaa ! »

Le type à la hache n'eut pas le temps de finir sa phrase. Immédiatement après qu'il ait insulté sa victime, Vladimir invoqua Ch'gvo, l'envoya saisir le Voyageur par le piercing mammaire et l'attira directement à lui. Lorsqu'il fut à son niveau, il lui flanqua une patate magistrale droit dans les gencives. Le type tituba, porta la main à sa bouche et jeta un coup d’œil incrédule au Great-Rider. Tout se déroula rapidement ensuite. Profitant de la diversion causée par le nouveau venu, le captif se redressa sur ses jambes et s'enfuit dans la direction opposée. Voyant cela et pris de cours, le footballeur jura et se mit à crier des ordres.

« Merde ! Chopez-le ! Nous on s'occupe du connard aux poneys ! »

Il se mit se mit en position de combat tandis que comme un seul homme, le petit teigneux et Jean-Pierre Coffe s'élançaient à la poursuite du fuyard et que le grand type désormais édenté dégainait sa hache. Vladimir souffla sa cigarette parterre et l'écrasa du bout du pied. Tandis que Grani s'envolait pour éviter de prendre des coups qui ne lui étaient pas destinés, le jeune homme adressa un sourire plein de confiance à ses deux adversaires et leur lança une ultime provocation.

« Je connais bien les types comme vous. Je vais me faire plaisir en vous défonçant la tronche. »

Gordon était toujours bien là, sur une petite colline qui surplombait la scène. Ce qui lui permettait d’être aux premières loges pour le petit spectacle, ou massacre qui avait lieu entre les voyageurs. S’était puéril, pourquoi se battre entre eux ? C’était injuste aussi, d’autant plus que sans l’apparition de l’invocateur équestre, l’autre y aurait probablement passé sa dernière nuit.

Un peu plus chanceux de son côté, il avait réussi à agripper deux poneys de plus, les pauvres bêtes s’étaient énervées en tentant de fuir la scène, ce qui lui avait permis d’agripper son diner. Ce qui lui apportait son compte à 48 chevaux ! Incroyable, il sentait encore leur goût si soyeux, ses bêtes goutaient les pêches alors que chacune de ses mains retenait encore les carcasses chaudes des deux animaux à moitié dévorés. Seulement, il n’en resterait pas là. Ce petit combat en bas de la colline lui donnait déjà faim. D’autant plus qu’il se connaissait, il ne pourrait pas en rester là.

Tout en continuant de manger, il descendit doucement de manière à arriver face à la victime qui tentait de fuir et ses agresseurs. En une fraction de seconde, celui au visage bleui par les coups le dépassa, stoppant presque sa course devant le colosse qui s’était mis sur sa route, se demandant au passage s’il était l’un de ceux l’ayant attaqué plus tôt. En guise de réponse, BigLove lui fit simplement un sourire. Un sourire qui l’effraya peut-être un peu plus qu’il ne le devait. Les dents encore rougies par le sang n’avaient pas eu le bon effet.

Quel qu’il en soi, les autres poursuivants arrivaient à vitesse grand-V derrière le petit livreur, ceux si n’aurait pas la même chance. D’un simple coup, il balança l’une des carcasses sur eux, les abattants tels une boulle de quille dans son allée. Le gorille n’était pas fervent admirateur de ce sport, mais il sentait littéralement son sang bouillir devant l’injustice.

- Aller les gars, vous ne voulez pas vous en prendre à quelqu'un de votre taille ?

Dit-il simplement en laissant les jointures de sa main libre craquer les unes après les autres alors qu’il se laissait aller les doigts dans le vide, comme s’il voulait saisir le vent lui même.

Puis, alors qu’il arrivait à la hauteur des deux hommes étendus au sol, il écrasa comme un gourdin le corps inanimé du deuxième mustang sur eux, laissant entendre un craquement au passage. Hum, il était temps de relâcher un peu de tension, seulement ceux-là n’étaient que des débutants, le cavalier s’était gardé le meilleur !

Tout en enjamba les deux corps assommés, le géant continuait de marcher en direction du dernier trio, nettoyant ses lunettes qui venaient de recevoir quelques gouttelettes de sang au passage.

Dans un grognement, le type à la hache bondit sur l'Invocateur de Chevaux et abattit son arme d'un mouvement circulaire. Vladimir bondit en arrière, juste assez tôt pour se voit trancher une mèche de cheveux. A peine se fut-il réceptionné que le footballeur était sur lui, poing armé et prêt à frapper. Il n'aurait pas le temps d'éviter ce coup-ci, il lui suffisait donc de parer l'attaque. Un type pareil, bien que solidement charpenté, ne pouvait pas frapper bien fort. Anticipant la trajectoire du coup, le jeune homme interposa son bras.

La violence de l'impact fut singulière. Le Great-Rider sentit son membre dévier sous le poing de son adversaire, et les phalanges de ce dernier s'abattre sur sa pommette. Avant qu'il ne réalise ce qui se passait, il se retrouva étalé parterre, une violente douleur lançant sa mâchoire supérieure. Il ferma les yeux, posa les mains au sol et entreprit de se redresser pour reprendre son souffle. A côté, les deux types ricanaient. Il tourna la tête dans leur direction et put constater qu'une majeure partie du bras du footballeur était désormais recouverte de roches.

« Putain que d'la gueule, fit-il en se retournant vers son pote à la hache.
- Tu te bas contre Ark le Roc et Rahim le Hachoir, connard, fanfaronna l'autre. Retiens bien nos noms parce qu'on est les prochains maîtres de la ligue M !
- J'y crois pas... Qu'est-ce que j'en ai à foutre des ligues ? Fit Vladimir en se relevant, un léger sourire inscrit sur les lèvres. Vous vous êtes surnommés vous-mêmes ? Parce que c'est super moche ! »

Il essuya le filet de sang qui perlait sur sa joue entaillée du revers du poignet et se remit en position de combat, poings levé. C'est à ce moment qu'il aperçut l'immense silhouette qui s'approchait d'eux. Le type en question était relativement impressionnant, puisqu'il avait l'air de plus ou moins culminer aux mêmes altitudes que lui-même, sauf qu'il devait bien faire presque deux fois sa largeur. En ressentant également la présence du nouveau venu, les deux types se regardèrent, et d'un air entendu celui à la hache s'avança vers lui.

« C'est pas possible, qu'est-ce qu'y foutent les deux autres ? C'est le rendez-vous des connards ce soir, fit le footballeur au pouvoir de la roche pendant que son compagnon armé commençait à partir. Va voir ce qu'y veut et défonce lui la tronche s'il veut faire chier. Puis, après que l'autre se soit éloigné, il termina. J'ai pas besoin de Rahim pour régler ton compte. J'ai horreur des mecs comme toi qui savent pas s'écraser quand y faut.
- C'est moi qui vais te botter le cul.
- Hein ?
- Ce bras, je vais te le casser. Pilonner les cailloux qui resteront. Transformer ta pierre en sable.
- Avec tes canassons ? Me fais pas rire ! »

Vraisemblablement contrarié par les propos du Great-Rider, le visage d'Ark le Roc se déforma de haine tandis qu'il tentait d'abattre son bras rocailleux dans sa direction. Un autre bond agile permit à Vladimir d'en réchapper. Il évita ainsi une série de coups potentiellement très violents avant d'établir une distance suffisamment grande entre les deux pour lui permettre de faire appel à l'une de ses invocations.

« Pooka, la Charge du Fou ! »

Dans une fumerolle blanche auréolée du lumière, le petit poney moucheté aux ailes déplumées apparut en virevoltant. Il fonça de manière aléatoire sur l'adversaire de son Rider, forçant ce dernier à mettre son bras entre lui et l'animal. Il y eut un "Bonk !" sourd lorsque le crâne de la créature rencontra la surface du membre transformé, puis Pooka manqua de tomber au sol avant de reprendre de l'altitude et de s'éloigner. Ark baissa sa garde et adressa un sourire mesquin à son adversaire.

« Aïe aïe aïe ! Fit le Farceur Équestre. Merde Vlad, j'ai encore plus mal à la tête que d'habitude...
- Ça va aller Pooka ? S'inquiéta l'Invocateur.
- Ha... Han... T'inquiète pas, j'adore ça. On recommence ? »

Vladimir le savait un peu fou, et la grosse bosse qui se profilait sur le haut du crâne de l'animal le confirmait. Il semblait pourtant clair que la puissance de Pooka n'était pas suffisante pour entamer la solidité du bras adverse. Mais si l'invocation voulait continuer, Vladimir allait continuer à l'utiliser.

« C'est ridicule putain ! S'esclaffa le Roc. Tu frappes aussi fort qu'une fillette !
- La Charge du Fou !
- Mh ? »

Pooka fusa sur l'ennemi et se heurta une nouvelle fois à la défense de roches. Une nouvelle fois sonné, il zigzaga dans les airs pour retourner à sa position initiale.

« La Charge du Fou ! »

Recommencer sans cesse la même chose en espérant que le résultat soit différent... La technique portait bien son nom. De nouveau l'invocation se heurta à un vrai mur et repartit dans les airs selon une trajectoire complètement erratique. Le type baissa le bras, fixa Vladimir et lui adressa la parole.

« Si t'as fini c'est à mon tour, abruti. »

Selon la tournure des choses, Gordon se retrouvait face au mec à la hache d’armes, malheureusement c’était l’autre qu’il aurait dû se coltiner, ainsi le duo de « Bon » voyageur aurait eu plus de chance de s’en tirer.

À la seconde ou le bucheron arriva devant lui, le gorille pue lire une note d’hésitation, il est vrai qu’il était bien plus grand et large, s’était à décourager n’importe qui en fait… Sans oublier qu’il arrivait sans égratignure, couvert de sang et que les deux hommes qu’on avait envoyés contre lui n’étaient plus visible, enseveli sous les carcasses refroidies de deux mustangs à moitié dévorés.

- Je t’averti qu’une fois monsieur coupe papier, si tu ne prends pas tes jambes à ton coup, c’est moi qui te les brises.

Sans réponse plausible, ne laissant qu’un crie à la Tarzan s’échapper de sa gorge, Marco, appelons-le ainsi, décida de foncer tête baisser, hache relevée contre BigLove. L’arme tranchante toucha bien sa cible, il crut même entailler l’énorme avant-bras qu’il venait de percuter, mais celui-ci se rendit bien vite compte qu’il n’avait aucune chance.

D’un mouvement sec, l’arme fut repoussée avec une force violente, il faillit presque l’échapper et en fut déséquilibré au point de tituber sur lui même. De l’autre côté, Gordon regardait la manche de sa veste, coupé net. Il décida donc de la retirer, se qui laissa le haut de son corps nu devant celui qui avait eu les colonnes de l’attaquer. Se qu’il ne savait pas, c’est qu’avant l’attaque, il avait transformé son avant-bras en peau de reptile, se qui lui avait procuré une armure l’espace de l’impact. C’était comme un tour de magie réalisé à la perfection, Marco qui n’avait rien vu aller n’en croyait pas ses yeux, c’était comme s’il avait frappé de la pierre…

Tout en profitant du débalancement de son adversaire, BigLove lui bondit dessus tel un footballeur professionnel, agrippant une jambe au passage pour le propulser plus loin, chose qu’il réussit à faire sans problème. Le bucheron atterrit quelques mètres plus loin, ce n’était pas mortel comme chute, mais assez pour le faire douter sur ses chances de vaincre le mastodonte. Quand à lui, il courait déjà pour s’en prendre à l’homme de pierre, il ne pouvait pas le laisser s’en prendre au Rider sans broncher.

À la dernière seconde, il réussit à se projeter entre le poing de pierre et le rouquin, le coup fut si puissant qu’un nuage de poussière se leva telle une tempête, brouillant la vue de tous.

Malheureusement pour sa couverture, il n’y avait rien à faire, l’élémentariste l’avait forcé à user de sa première transformation. Tout le monde le verrait donc couvert d’écaille finalement.

- Hé petit, tu veux t’occuper de celui à la ?

Dit-il en pointant Marco d’un doigt nouveau.

- Je m’occupe du tas de pierres !

Finit-il par dire tout sourire devant le défi plus adapté qui se profilait derrière la retombée de poussière.

Vladimir croisa les bras devant la poitrine dans l'espoir d'atténuer le choc en voyant venir la frappe magistrale de son adversaire de pierre. Seulement le coup n'arriva jamais, et à la place se tenait devant lui le large type qui venait de débarquer. Oui mais voilà, il avait changé. Le jeune homme prit un court instant pour l'observer des pieds à la tête, avisant le corps jonché d'écailles qui donnait au bonhomme des allures d'humanoïde reptilien. C'était tout de même inattendu et relativement impressionnant.

Grani disait que c'était quoi ce genre de pouvoir... Un morpheur ? Se demanda-t-il par réflexe et sans se douter de la véritable nature du pouvoir dont il assistait à la démonstration.

Mais le gars venait de se prendre une attaque à sa place et manifestait le désir évident de s'occuper du Roc. Vladimir le remercia d'un signe de la tête et fit mine de s'élancer en direction du Hachoir.

« J'espère que tu sais ce que tu fais, le vieux ! Lança-t-il à son nouvel allié avant de s'éloigner. »

Le Great-Rider entendit les protestations d'Ark suite à son départ mais curieusement, ce dernier ne semblait pas déterminé à le poursuivre. A l'évidence, le reptilien devait le tenir en respect. Vlad se retrouva devant le dénommé Rahim déjà relevé de sa chute, qui faisait jouer sa hache en moulinets comme pour l'impressionner. Sa mâchoire édentée suffisait à le décrédibiliser suffisamment pour annuler l'effet qu'une telle maîtrise de l'arme aurait dû produire sur le jeune homme.

« T'auras pas plus de chance avec moi qu'avec Ark, fanfaronna le Voyageur en arrêtant finalement son mouvement sur une position de combat. Ça fait deux semaines qu'on vient ici toutes les nuits pour se faire la main sur les novices comme toi et l'autre merde. »

Suite à la réitération de l'insulte proférée à l'encontre du messager, Vladimir révoqua Pooka et lança Ch'gvo dans la direction de son interlocuteur. Cette fois, l'autre s'y attendait et esquiva le coup avec une agilité déconcertante. Lorsque le Long-Coureur revint dans la main du Great-Rider, l'autre se marrait à gorge déployée.

« Pouhaha ! Tu pensais vraiment que je tomberais deux fois dans le même panneau ? Ecoute bien, novice, voilà ce qui va se passer, fit-il en reprenant sa position initiale. D'abord, Ark va exploser ton copain le gorille et lui faire bouffer ses écailles. Ensuite, je vais te couper les bras et les jambes. Je finirai par la tête. Tu vois cette hache ? Poursuivit-il en agitant son arme. A Armacity, on l'appelle la Bouchère.
- Original, l'interrompit le Great-Rider.
- Nan t'as pas compris. La "Boue-Chair". Parce que quand elle en a fini avec mes adversaires, il en reste que du steack haché. Tu veux connaître mon pouvoir ? J'suis une arme humaine. J'peux fusionner avec les armes qui me tombent sous la main, pour ensuite... Bleurgh ! »

Le poing de Vladimir s'écrasa contre le museau de Rahim, forçant le gaillard à reculer de quelques pas. Le Great-Rider agita Ch'gvo dans les airs et serra plus fort sa main libre, prêt à recommencer. Il fusilla son adversaire du regard tandis que ce dernier se massait l'arête nasale.

« Tu parles trop. Viens te battre ! »

Le Hachoir grogna, effectua un geste étrange du bras armé et produisit quelque chose de magique au niveau de la hache. Il y eut un éclat de lumière qui lorsqu'il disparut, offrit au jeune homme une autre vision. De chaque côté du membre de chair, une lame acérée délimitait les bord. L'arme elle-même était devenue une extension de son adversaire. Soudain, Rahim beugla et se jeta à corps perdu sur le Great-Rider. Celui-ci se baissa pour éviter le coup de bras circulaire et flanqua directement un coup de poing dans l'entre-jambe du type, qui recula en portant la main à la zone douloureuse.

« Ride Over Here ! »

La tête de Ch'gvo fut projetée en direction du Hachoir, qui évita l'assaut. Vladimir réitéra la démarche dans l'objectif de ne laisser aucun répit à son adversaire et de le pousser à la faute. Il y eut un moment de flottement lorsque le jeune homme visa un peu trop sur le côté. Immédiatement, l'autre abattit son couperet pour trancher l'extension du bras. Dans un sursaut de lucidité, l'Invocateur rappela Ch'gvo, n'offrant à Rahim que du vide à trancher. Les deux adversaires s'arrêtèrent simultanément, s'observant en chien de faïence. Derrière Vladimir, les bruits de l'affrontement entre le reptilien et le Roc laissaient supposer que le combat s'avérait moins joué d'avance que ce qu'avait prétendu le Hachoir. Le cavalier esquissa un petit sourire triomphal à son vis-à-vis, qui lui répondit d'une grimace haineuse. Puis, d'un cri commun, ils se jetèrent l'un sur l'autre.

Absorbé par son combat qui serait peut-être des plus dur à gagner qu’il ne se l’était imaginé, Gordon ne portait plus attention au bucheron et au cavalier. Devant lui, le quatrième fantastique rassemblait toute la pierre environnante pour s’en faire une armure des plus dure à percer. Malgré tout, les coups fondaient tels des rapaces sur leurs proies. Une droite sur le menton, un crochet dans les côtes, rien n’arrêtait les deux déchainer qui ne cessait de frapper sans prendre le temps de se protéger. Le tout était devenu une course à savoir lequel des deux aurait le plus d’endurance. Tout sourire, les deux hommes s’affrontaient dans un vacarme des plus sonore, on pouvait entendre les écailles frotter contre la pierre, parfois quelques grognements ou même gémissement de douleur.

C’est à cet instant, tout en tournant dans un arc de cercle parfait, que les deux combattants prirent pour la première fois le temps de reprendre leur souffle. De son côté, Gordon était bien content d’avoir suivi quelques cours de boxe anglaise, il ne s’était pas laissé dominer. Il pouvait bien remercier son premier pouvoir, sans lui, il n’aurait pas résisté longtemps aux frappes puissantes de son adversaire, putain s’était comme se faire frapper par une voiture à chaque fois…

- Alors, Rocky.. C’est tout.. Se que tu.. As ?

Finit-il par dire à bout de souffle. Bien entendu, celui-ci ne se laissa pas avoir par la provocation, il crachat au sol comme pour répondre avant de reprendre le combat en se lançant directement sur le lézard, balançant son poing droit tel un moulinet, prêt à arracher quelques dents au passage. Ferme sur ses pieds, en position cavalière, BigLove se préparait à réceptionner le choc. Il se devait de penser à une stratégie au plus vite, bordel sinon il y laisserait sa vie et il n’en avait qu’une !

Quand le tas de caillou arriva enfin, il se déplaça de manière à pouvoir faire une vrille et rouler littéralement contre son adversaire comme l’aurait fait un footballeur professionnel, se retrouvant derrière sa cible. À ce moment, il utilisa sa force contre son adversaire et le propulsa au sol.

Encore plus essoufflé par la manœuvre, il n’eut le temps que d’appuyer ses mains sur ses genoux, pas plus. Il ne comprenait pas pourquoi encore, mais se battre contre un rocher vivant, s’était beaucoup plus exigent que ça en avait l’air…

C'était le genre de moment où le temps perçu semblait ralentir, comme croulant sous le poids des perceptions. De l'extérieur, un observateur non averti aurait tout simplement pu penser que le Great-Rider et le Hachoir étaient chacun mus par de vifs réflexes qui leur permettaient de bouger sans se toucher ni l'un ni l'autre. Mais Vladimir lui-même le savait très bien pour expérimenter l'adrénaline du combat tous les jours dans quelque quartier mal famé, il y avait autre chose à l'oeuvre dans ce type de situations. Un combattant était comme une boussole au milieu d'un typhon, comme une singularité au cœur d'un trou noir. Il n'existait plus, dans la bataille, que le guerrier et son adversaire dans une bulle hermétique. L'un constamment orienté vers l'autre, faisant totalement abstraction du reste du monde, la perte de la concentration équivalent quasiment systématiquement à la défaite.

C'était ça que vivait Vladimir, une fixation absolue sur son adversaire, le moindre des sens physiques tourné dans sa direction afin d'appréhender ses mouvements, ses postures, ses intentions. L'autre en face avait l'air de savoir aussi ce que c'était. Ni l'un ni l'autre ne céda un pouce de terrain, esquivant coup pour coup, anticipant feinte pour feinte. Lorsque l'Invocateur de Chevaux s'arrêta, le Contrôleur des armes l'imita. Il y eut un moment de silence, rompu rapidement par le Hachoir.

« Tu peux aussi te rendre maintenant et abandonner. C'est tout à fait normal de s'incliner devant plus fort que soi, car après tout ainsi va le monde. Bon tu t'exposeras à ce qu'on t'humilies par-dessus, mais au moins t'auras peut-être la vie sauve... Pouhaha !
- Garde tes discours de lavette pour toi, rétorqua le jeune homme.
- T'as déjà plus de jus pour pas appeler tes canassons ?
- Nan... J'veux juste savoir si j'ai vraiment besoin d'utiliser mon pouvoir pour battre un type comme toi. »

La réplique sembla irriter Rahim au plus haut point, si l'on se fiait à la veine qui se mit à palpiter au sommet de sa tempe. Il poussa un grognement hargneux et se fendit d'un direct étrange, comme en position d'escrime. Un peu étonné, Vladimir n'eut qu'un pas en arrière à faire pour éviter l'attaque. C'est à ce moment que le type fit quelque chose avec son pouvoir, provoquant un basculement des lames incrustées dans son bras par le poignet. L'allonge doubla immédiatement et à une telle allure que Vlad eut tout juste le temps de réagir. Comme pris entre les deux couperets d'une paire de ciseaux, il se fit lacérer les flancs en profondeur et poussa un hurlement de douleur.

La virulence de l'attaque le força à plier un genou à terre, ne tenant encore droit que grâce à l'appui de son poing sur le sol. L'autre bras recroquevillé sur toute la longueur de la plaie pour vainement tenter d'empêcher le sang de couler, il fixait l'herbe de ses yeux écarquillés. Le souffle coupé, le visage empourpré par la réaction nerveuse, il était désormais concentré sur la douleur et tentait de comprendre ce qui venait de lui arriver. S'il était encore là, ce n'était dû qu'à un ultime réflexe qui l'avait fait reculer d'un pas supplémentaire au tout dernier moment.

Si j'étais resté au même endroit... Merde, il a failli me couper en deux !

Le jeune homme redressa la tête, vit son adversaire au-dessus de lui. Il avait le bras tendu vers le ciel, ce bras dont l'extension métallique doublait désormais la portée, et arborait un sourire mauvais aux lèvres. Cette fois pas le choix, Vlad ne pourrait pas s'en sortir juste avec son jeu de jambes et ses poings.

« Pooka, la Charge du Fou ! »

Le Great-Rider roula en arrière en tentant d'ignorer la douleur pour éviter le coup qui pleuvait sur lui, tandis que la créature démente jaillissait de sa fumerolle pour aller percuter de plein fouet le dos de son adversaire. Il y eut comme un craquement sourd, le type toussa de manière caverneuse et Pooka alla s'étaler dans l'herbe en faisant quelques tonneaux. Rahim tituba légèrement, porta la main libre à son thorax tout en fusillant du regard l'invocation qui se relevait et s'apprêtait à s'envoler.

Le Hachoir esquissa un mouvement vers l'avant mais tomba à genoux. Il essaya de se relever en prenant appui sur les mains mais quelque chose semblait le faire souffrir énormément.

« Hu hu, ricana l'animal, j'crois qu'j'lui ai pété un truc dans le dos Vlad. Il m'en veut tu crois ?
- C'est le cadet de mes soucis. C'est le moment de lui régler son compte. »

En face, Rahim se relevait péniblement, affichant une paire de jambes flageolantes. Vladimir fonça aussitôt droit devant, le ventre ceinturé par son propre bras et l'autre poing serré dans les airs. Il ordonna à Pooka de charger en même temps que lui pour que leur frappe soit simultanée. Voyant la coordination du cavalier et de son invocation, évaluant son incapacité à réagir, le Hachoir afficha une mine paniquée et rétracta aussitôt les lames de hache à l'intérieur de son membre. Il n'allait pouvoir parer qu'une attaque, et au vu des dégâts causés par une seule charge du poney, il choisit de prévenir celle de Pooka. Il leva donc le bras au niveau du plexus, encaissa la charge directement dessus.

Au même moment, le poing de Vladimir s'écrasait sur sa mâchoire avec une violence rare. Chose que Rahim n'avait pas anticipé. Le Great-Rider sentit la lèvre inférieure de son adversaire exploser sous l'impact et répandre le sang chaud sur ses phalanges. D'un effet de rebond, la tête du Contrôleur des armes pivota sur le côté avant de revenir à sa position initiale. Les yeux du Voyageur se révulsèrent lorsqu'il passa de son état de lucidité à l'inconscience, et il s'étala inerte dans l'herbe. La Boue-Chair, à la manière d'un déchet rejeté par le corps comateux, fut expulsée du bras dans un pop organique. Pooka quant à lui se posa près de son Rider, et Vladimir, pantelant, laissa sa main sanglante goutter sur le terreau fertile.

Après s’être retrouvé au sol, Marco se désassembla telle une tonne de blocs lego, reprenant forme en assimilant encore plus de rocher trouvé à même le sol ne laissant qu’une expression assez perplexe sur le visage du BigLove. C’était désespérant, chaque coup était inefficace, cette armure était trop résistante. Ses poings lui rappelaient à tout moment qu’il était inutile de continuer, mais au fond de lui, une rage monstre naissait à la seconde ou l’ont s’en prenait à des innocents. D’un sourire d’imbécile, il se permit de rire à l’idée. Allait-il déjà y laisser sa peau pour un mec qui n’avait même pas conscience d’avoir été sauvé ?

Dans un grognement surhumain, Gordon le lézard s’élança encore le poing levé, essayant de frapper une ouverture encore dépourvue de protection, s’il touchait se corps chétif ne serais qu’une seule fois, il pourrait profiter du moment de déstabilisation pour tenter autre chose. Les coups résonnait à des lieux à la ronde, imitée par les cris de guerre des deux hommes, seulement, le lézard se fessait peu à peu terrasser.

Alors qu’un uppercut puissant le fit rouler au sol, Gordon compris l’expression mordre la poussière sous un nouvel angle.

- MORDRE LA POUSSIÈRE ! ÇA Y EST ! EURÊKA !

Comme pour l’encourager, s’était à se moment que le rouquin assena son dernier coup de poing, du moins c’est se qu’il s’était dit en voyant l’arme de l’autre mec se retrouver au sol si loin de son propriétaire… C’était tout ce dont il avait besoin, s’il avait réussi à le vaincre, il y arriverait aussi !

Tout en se relevant, BigLove remarqua que le rocher était tout aussi à bout de force que lui. Maintenir une telle armure de pierre s’était épuisant. D’autant plus qu’il devait en coller beaucoup sur son corps pour pouvoir rivaliser avec la corpulence naturelle du colosse.

Tout en prenant une posture plus calme, baissant ses poings, Gordon rompit son contrat animal, laissant la peau de lézard retourner sous son épiderme naturel. Il se sentait beaucoup plus libre, sans se le cacher, cette armure était intéressante, mais elle l’empêchait d’être aussi agile qu’il ne le laissait paraître en vérité.

- Oh ho, regarder moi qui abandonne ! Je le savais trouillard !

Tout en continuant de sourire de toutes ses dents, Gordon se mit à avancer doucement, comme s’il avait abandonner l’idée de combattre, se qui pris aux dépourvues l’homme de pierre. C’était à se demander s’il n’avait pas une carte dans sa manche.

À porter de frappe, Gordon s’arrêta. De tout son long, il était aussi long que le golem et peut-être encore un peu plus large d’épaules, c’était assez incroyable, s’était comme comparé Hulk à la chose des quatre fantastiques…

- Je ne suis pas un morpheur lézard tu sais, mon pouvoir est tout autre.

Sans crier gare, l’homme de pierre lança son poing avec l’intention de le frapper au visage, mais Gordon, devenue un peu plus rapide du à la perte de son armure put facilement éviter le coup, agrippant le bras au passage de manière à utiliser la force de son adversaire contre lui. Dans un élan de force et le tout bien entendu suivi d’un cri des plus sonore, il renversa la petite montagne de manière à lui faire mordre la poussière à son tour. C’est à ce moment qu’il allait pouvoir tenter quelque chose.

- Pardonne-moi d’avance !

Sans perdre une seconde de plus, Gordon mordit dans le bras de son adversaire au niveau de l’articulation, emportant avec lui une portion de l’épaule de pierre… C’était impressionnant, ses dents pouvaient vraiment croquer dans n’importe quoi comme si c’était du simple beurre.

Seulement, il ne s’attendait pas à une telle … Dose ? En arrachant à dent nue une portion de son adversaire, BigLove expérimenta ce qui se rapprochaient le plus d’une surdose de drogue. Tout son corps se laissa envahir par une bouffée de chaleur incontrôlable, ses veines semblèrent se gonfler pour laisser entrer la puissance et ses yeux se tintèrent d’un rouge incroyablement surnaturel… C’était l’essence de vie même de son adversaire qu’il sentait envahir son corps…

Il ne pouvait pas arrêter, même si l’autre criait comme un déjanter, il grignotât l’épaule jusqu’à pouvoir arracher le bras à main nue, bondissant ensuite vers l’arrière comme un homme des cavernes avec sa proie bien en main. Il avala ensuite tout le reste du membre avant de lancer un regard d’affamé sur son adversaire qui lui, tentait tant bien que mal de retenir tout le sang qui s’écoulait de sa blessure.

- PUTAIN, CE MONSTRE M’A ARRACHÉ LE BRAS !!!

Au même moment, Gordon regardait son bras gauche, littéralement médusé par celui si qui se transformait peut à peu en pierre comme celui de sa victime. Il venait d’absorber une partie de son pouvoir ? Intéressant.

- J’en veux plus.

Dit-il plus pour lui même qu’autre chose. Devenue accro à ce nouvel aliment qui ne cessait de pleurer devant la perte évidente d’un membre de sa famille si vous voyer se que je veux dire Héhéhé.

Mangé :

[Alesia ne figure pas encore sur ma fiche technique mais Vladimir ne fera rien de très surprenant avec elle au moins pour cette nuit !]

Une fois certain que Rahim le Hachoir était hors d'état de nuire et seulement à ce moment là, Vladimir révoqua Pooka et se laissa tomber à genoux sur l'herbe. Complètement saisi par la douleur qui lui déchirait l'abdomen, il souffla par saccades et afficha une grimace. En se laissant pivoter sur le côté, il replia ses jambes et s'assit sur le sol. En face, son inconnu d'allié fit disparaître ses écailles au même moment. Lui comme le Roc semblaient aussi essoufflés l'un que l'autre, mais l'espace d'un instant le cri de victoire anticipé du Contrôleur des roches fit douter le Great-Rider de l'état réel de celui qu'il considérait comme un Morpheur animal.

Subitement, Grani arriva en virevoltant au-dessus de son visage d'un air anxieux. Non pas que le cheval de trait miniature soit jamais nerveux, mais il avait l'air cette fois d'être plus affecté encore qu'à l'accoutumée.

« J'ai vu quelque chose qui va finir par poser problème peu importe l'issue de l'affrontement entre ces deux-là, fit-il d'une voix étonnamment sérieuse pour une fois.
- Comment ça ? Fit le jeune homme en gardant un œil sur les deux autres Voyageurs tout en feignant de ne pas souffrir.
- Le messager, il est à côté des deux autres copains du Hachoir et de l'autre. Il regarde ce qui se passe de là-bas derrière toi.
- Et alors ? S'enquit Vladimir en se retournant pour effectivement constater la présence des silhouettes un peu plus loin sur une butte herbeuse.
- Alors regarde bien sous quoi se trouvent les deux types. »

Le Great-Rider plissa les yeux, fit l'effort de distinguer ce qui se trouvait réellement prêt du pauvre Voyageur. Lorsqu'il parvint à comprendre de quoi il s'agissait, il reporta immédiatement son attention sur Grani. Il fut un instant sur le point de poser une question, mais sa mine s'assombrit soudainement comme s'il venait de prendre conscience de quelque chose.

« Des carcasses de chevaux, Vlad, affirma le Guide. Des mustangs sacrés. Dévorés jusqu'à l'os.
- Le vieux aux écailles venait de là...
- Il a l'air d'avoir lui aussi défendu la vie du messager et t'a bien facilité la tâche, j'suis conscient de ça, Vlad. Seulement... Je connais pas son pouvoir mais c'est quelque chose qui fait pas que du bien autour de lui. »

A ce moment, Ark le Roc se mit à beugler comme un perdu. L'attention de l'Invocateur de Chevaux et de Grani fut immédiatement captée par ce qui se passait et la vision leur glaça le sang. L'homme aux écailles mordait à pleines dents dans le bras du Voyageur. Il en vint rapidement à un point où il lui suffit d'arracher le membre, ne laissant qu'un moignon duquel se mit à jaillir un flot de sang incontrôlable. La silhouette du mangeur se recroquevilla sur elle-même alors qu'il festoyait du bras détaché, et lorsqu'il se retourna, tout ce qui vit Vladimir furent ses yeux rouges. La couleur prit l'Invocateur aux tripes, la faim pouvait se lire sur le Voyageur comme dans un livre.

« Il n'y a plus de doute ! Piaffa nerveusement Grani. Ecoute, normalement je ne suis pas favorable à tes élans d'altruisme, mais tu ES le Great-Rider. Si Epona Regina est la maîtresse de tous les chevaux de Dreamland, tu te rapproches le plus de ce qu'on pourrait appeler leur gardien. Les mustangs sacrés sont un cadeau fait aux rêveurs, ce sont des bêtes qui n'ont pas d'autre vocation que de répandre du bonheur. Je ne suis plus une Créature Cauchemar mais même si je l'étais encore, je me sentirais touché par ce qui s'est passé cette nuit. Ce que ce Voyageur leur a fait est un crime à l'encontre de toutes les cavales du monde des rêves, qui te touche directement. Un affront que tu es censé laver. »

Vladimir ne dit rien, happé par le regard dément de son allié inopportun. Il ne connaissait même pas son nom, il savait pertinemment qu'il lui avait filé un coup de main plus qu'appréciable, mais la goule qu'il avait sous ses yeux ne lui inspirait rien d'autre qu'un profond dégoût. Une sensation de malaise animée autant par sa nature bienveillante profonde que par son instinct désormais naturel de Great-Rider. Celui qu'il avait pris jusqu'alors pour un Morpheur était en réalité quelque chose d'autre, une sorte de Dévoreur, un Glouton aux appétits contre-nature. Ce qui se produisit après que le bras soit entièrement consommé ne l'interpella même pas. Seuls, dans leur globalité, le désigné-criminel et sa victime l'obnubilaient désormais.

Le Mangeur annonça qu'il en voulait plus. En écho de l'invective, c'est le regard désemparé du Roc qui résuma à lui seul toute la détresse dans laquelle le Contrôleur devait se trouver à cet instant précis alors même que son sang se déversait sur l'herbe. Le bourreau était devenu condamné. Mais Vladimir se le jura sur le champ: rien ni personne d'autre ne perdrait la vie cette nuit.

« Tu es mal en point, Great-Rider, fit une voix familière derrière eux. J'ai pu percevoir ton trouble à des lieues d'ici. »

Vladimir se retourna. La grande jument brune que l'Invocateur et son Guide avaient croisée plus tôt dans la nuit se trouvait à nouveau à leurs côtés. Comme si la créature entrait en résonance avec l'état d'esprit du jeune homme, des tremblements nerveux étaient perceptibles sur toute la surface de son corps chevalin. Grani lui-même, habituellement si volubile, sembla impressionné par la tension qui émanait d'elle. Sa voix, qu'ils avaient la première fois ressentie comme pleine d'amour, semblait à présent pleine de colère.

« Imagine le mien lorsque j'ai découvert les premières carcasses de mes congénères, il y a quelques nuits de cela.
- Ce n'est pas la première fois ? S'indigna Vladimir.
- Non, bien malheureusement. Toi, fit-elle ensuite à l'intention de Grani. Sais-tu qui je suis ?
- Heu... Je crains de ne pas savoir. Mais tu n'es pas une Maîtresse Cavale, ça j'en suis à peu près certain.
- C'est normal. Je suis un Sabot Commun qui ne combats plus depuis des siècles. Je suis Alesia.
- C'est toi ! Sembla immédiatement se souvenir le Guide.
- Je me suis retirée dans la Plaine Céleste après que mon dernier Great-Rider ait été tué. Je n'ai plus jamais cherché à apporter mon soutien à ceux qui lui ont succédé.
- J'ai appris par la suite que ton lien avec lui avait été si fort que tu as presque failli vouloir le suivre dans la mort.
- Vercingétorix était un formidable Voyageur. Un cavalier comme il n'en existera plus jamais. Un véritable guerrier, et un homme bon. Clément avec ses ennemis et capable de se sacrifier pour les siens. »

Vladimir ayant toujours vécu aux Etats-Unis, l'évocation du grand chef de guerre Gaulois ne lui évoqua pas grand chose. Néanmoins, le sérieux de la conversation lui fit comprendre que le personnage dont il était question avait été quelqu'un de très important. Alesia posa les yeux sur le jeune homme, renâcla.

« La première nuit, je n'ai retrouvé qu'une poignée de carcasses. Puis il y a eu celle d'après, et la suivante, jusqu'à cette nuit. Avec ces deux-là, fit-elle en agitant la tête en direction du messager et des deux inconscients, ça fait quarante-deux. Qu'est-ce que ça t'évoque, Great-Rider ? »

Elle semblait déjà connaître la réponse. Il ne fallut pas longtemps à l'Invocateur pour la lui fournir.

« Je suis en colère, fit-il en affichant une mine grave.
- Je suis venue dans la Plaine Céleste pour échapper à la douleur et trouver la paix en protégeant mes semblables, mes cousins, mes frères. Mais ma paix est désormais troublée et la tâche que je me suis attribuée n'a pas été remplie. Je sais... Je sens que tes mots sont en-dessous de la vérité. Il y a quelque chose en toi, Voyageur, que je n'ai pas vu depuis longtemps. Toi, tu as vu l'injustice et tu as voulu la corriger. Le petit homme qui se trouve là-bas en est la preuve, fit-elle en désignant à nouveau la même direction que précédemment. Tu as bon cœur et c'est une raison qui me paraît bonne pour que je t'aide à redresser les torts. Alors si tu l'acceptes, Great-Rider, je te prêterai mes forces. »

Vlad jeta un coup d'oeil à Grani qui hochait la tête d'un air approbateur. Le jeune homme connaissait la procédure. Lorsque Celeris, Pooka et Ch'gvo s'étaient chacun présentés à lui lors de sa première nuit sur la Plaine du Galop-Vent, il s'était lié à eux sans même y penser. Le processus impliquait un total abandon à l'autre, une confiance absolue et mutuelle. Alors le jeune homme se laissa faire, il ferma les yeux et communia avec la présence de l'animal. Il y eut une lumière qui irradia du Voyageur et de la créature. Lorsqu'elle s'évanouit, Alesia n'était plus là. En revanche, Vladimir se sentit investi d'une nouvelle force. Il jeta un coup d’œil à ses bras, à ses jambes. Chacun des muscles de ses membres semblait avoir au moins doublé de volume. La plaie qui balafrait son torse lui causait toujours un mal de chien, mais la volonté d'Alesia et la sienne ne faisaient désormais plus qu'un. La nouvelle détermination qui l'envahissait de fait le poussa à se relever.

Je pourrais briser un rocher... ! S'exclama-t-il intérieurement en refermant les phalanges sur ses paumes.

Dans un cri de guerre qui provenait d'un autre temps, le jeune homme fusa comme une flèche sur le Glouton avant que celui-ci ne s'attaque une nouvelle fois au Roc qui se lamentait et suppliait désormais pour sa vie en sanglotant. Plein de colère, le poing survitaminé du garçon se dirigea sur la mâchoire de son nouvel adversaire.

Malgré la bonne volonté de Vladimir, il était trop tard. Gordon venait de finir le deuxième bras et c’était sans oublier les jambes qu’il avait mangées alors que l’autre s’était emparé d’une nouvelle invocation. BigLove pouvait désormais transformer bien plus qu’un membre en pierre, mais avait décider de ne garder que ses bras, pourquoi ? Aucune idée, en fait il ne le savait pas non plus, pour l’instant, il ne souhaitait que manger. Aveuglé par la faim, il se sentit poussé en arrière, c’était bien évidemment le poing du dernier voyageur qui venait de s’écraser sur sa mâchoire, le propulsant en arrière comme s’il n’avait été qu’une plume. Seulement, l’animal en lui était bien trop présent, beaucoup plus que la fine part d’humanité qui se laissait consumé par l’envie de planter ses crocs dans la chair friche du golem de pierre.

Tout en roulant, il utilisa ses mains pour reprendre son équilibre, approchant un fauve avec sa posture a quatre pattes, on pouvait clairement voir le sang coulé de sa bouche, ses yeux rouges et ses dents aussi pointues que coupantes qui broyaient la roche comme si de rien n’était. En copiant le pouvoir d’une personne, il volait également une sorte de bulle de pensée. Ce qui lui permettait de comprendre les bases de ses nouvelles capacités. D’un geste, ses doigts s’allongèrent pour laisser naitre des griffes de pierre. Se recouvrir d’une armure comme l’avait fait l’autre gus n’était pas utile, il n’avait qu’à changer son épiderme en pierre et prendre l’apparence d’une statue grecque, puis ajouter quelques modifications, comme ses nouvelles griffes par exemple.

- POUSSE-TOI ! JE NE TE FERAI PAS DE MAL, JE VEUX JUSTE TERMINÉ MON REPAS !

Incontrôlable, il ne comprenait même plus ce qu’il était en train de faire, obnubilé par sa proie qui venait de perdre connaissance, disparaissant dans un POUF classique. Il venait de se réveiller, probablement dû à l’épuisement du combat. Ce qui enragea BigLove au plus haut point. La faim n’était pas éteinte…

- ARHHHHHHGGGGGGGG JE DOIT ASSOUVIR MA FAIMMMMMMM !!!

Criât-il à l’intention de Vladimir qui toujours accompagner de son petit cheval miniature ne pourrait qu’en venir à la bonne conclusion. En face de lui, il n’avait qu’un voyageur ayant succombé à son propre pouvoir. C’était comme s’il n’avait pas vaincu sa propre peur, mais comme s’il avait revêtu le manteau même de cette peur. Devenant par le fait même se qu’il avait craint si longtemps. Un cauchemar !

Rapidement, le colosse se mit à courir à quatre pattes, comme l’aurait fait une chimère, un mélange entre un tigre et un gorille, d’une posture incompréhensible… Seulement, Vlad devrait l’aider, c’était son devoir ! De toute façon, c’était l’aider ou y goûter…

Arrivée à hauteur du Rider, Gordon fit pousser une paire de cornes sur sa tête, des cornes de pierre qui, s’il ne les évitait pas, perforerait bientôt le ventre du rouquin.

Mangé:

Sous l'impact, le Glouton décolla du sol et alla rouler plus loin. Vladimir observa son poing en desserrant les doigts. Il était stupéfait par cette nouvelle force qui lui permettait de cogner si fort. Ses yeux se posèrent ensuite par hasard sur l'homme-tronc qu'était désormais Ark le Roc. Parcouru de spasmes nerveux, ses larmes à présent silencieuses coulaient depuis ses yeux vides braqués vers le ciel. Une véritable leçon d'humilité pour celui qui, quelques instants plus tôt, s'amusait de l'impuissance d'autrui. Pourtant, le Great-Rider se trouva pris de peine pour lui. Et ce fut presque avec soulagement qu'il le vit se réveiller.

Lorsqu'il reporta son attention sur son adversaire, il constata que celui-ci s'était déjà redressé et qu'il adoptait les capacités de sa victime. Il présentait dorénavant une posture étrange, hybride et bestiale, quadrupède. La pierre recouvrait ses membres avec l'efficacité d'un fauve, se découpant en griffes au bout de ses mains posées sur le sol. Il se mit à beugler à son tour, mais Vladimir perçut que quelque chose dans sa voix avait changé. A travers les diverses tonalités sauvages et affamés de son cri, il distingua une forme de détresse. Le dégoût du Great-Rider céda alors la place à de la pitié. Il posa sur lui un regard triste.

C'est aussi à ça que peut mener le voyage dans Dreamland alors... ? Songea-t-il devant le spectacle.

Vlad observait son adversaire. Les yeux rougis par le pouvoir, les dents acérées prêtes à déchirer ce qui aurait le malheur de passer à portée, une aura de mort... Le Voyageur n'était plus que l'ombre de lui-même, il en était réduit à une pulsion primaire. Grani virevoltait autour de l'Invocateur et en voyant ce dernier immobile face au Dévoreur, il alla directement se poser sur l'épaule du jeune homme.

« Qu'est-ce que t'attends, assomme-le avant qu'il t'attaque ! Encouragea-t-il le Voyageur.
- Je suis en colère, mais pas seulement contre lui et ce qu'il a fait. C'est ce pouvoir dégueu, il lui est monté à la tête. C'est pas normal.
- C'est le coup du dévoreur dévoré, il s'est laissé avoir par son propre pouvoir. Tu penses qu'il est pas responsable alors qu'il l'est totalement. Il a pas été assez fort pour résister à sa propre faim ! C'est lui qui a bouffé les mustangs sacrés, personne d'autre.
- Je sais, c'est bien pour ça qu'Alesia s'est liée à moi. T'entends, le vieux ? Demanda-t-il au Voyageur. S'il faut te défoncer pour que tu reviennes à la raison, j'hésiter... »

Le jeune homme n'eut pas le temps de finir sa phrase que déjà, le Glouton fonçait sur lui, réduisant la distance qui les séparait en quelques foulées animales. Le Great-Rider ancra fermement ses pieds sur le sol et se prépara à bourrer la bête d'un coup de poing dans le nez. Mais lorsqu'ils furent quasiment au contact, deux cornes de roc jaillirent du crâne monstrueux. Par réflexe et parce qu'il ne pouvait désormais plus l'éviter, le Great-Rider empoigna fermement les deux extensions pointues par leur base et encaissa le choc.

Sous la force de la charge, les deux Voyageurs glissèrent sur quelques mètres. Les jambes puissantes du jeune homme le maintinrent droit tandis que la force de ses nouveaux bras maintenait les cornes du Mangeur à quelques centimètres de son ventre. Forcer ainsi sur ses membres s'accompagna logiquement d'une pression sur l'ensemble du corps, pression qui se répercuta directement dans la ceinture abdominale déjà ouverte par les assauts du Hachoir.

« Bleurgh ! »

La douleur arracha un cri à l'Invocateur, qui cracha une gerbe de sang en fermant les yeux. La souffrance mise de côté, Vladimir abaissa le regard et avisa son adversaire. A présent qu'ils étaient tous les deux immobiles et que le jeune homme maîtrisait son adversaire par les cornes, il lui flanqua un violent coup de genou dans le menton. L'impact brisa littéralement les extensions de roche qui restèrent dans les mains du Great-Rider. Toutefois le Mangeur était désormais libre de ses mouvements, et nul doute que son prochain assaut risquait de causer de lourds dégâts au jeune homme s'il ne parvenait pas à s'en prémunir.

En brisant les cornes de granit, Vladimir ne réussit qu’à enrager un peu plus l’animal ayant pris procession du grand bibliothécaire, s’était comme la narguer dans la perfection nouvelle de cette apparence un peu plus démoniaque. Sur le coup, aucun dommage n’avait été prodigué, mais le genou bien placé réussit à sonner un peu notre glouton qui ne s’attendait pas à une telle riposte, il faut avouer que ses réflexes naturels étaient réduits en croissance à la rage qui laissait bouillir son sang. D’une force naturelle plus importante que la moyenne, il n’eut besoin que du revers de l’une de ses mains griffu pour balayer le Rider et le faire voler tel un oiseau. Celui-ci décolla comme il l’avait fait un peu plus tôt pour trouver le sol un peu plus loin, ironique. Il vit donc le roux rouler à son tour, soulevant un petit nuage de poussière qui s’arrêta en même temps que son corps s’arrêta sur l’une des carcasses encore chaudes des défunts mustangs.

C’est ce dont Gordon avait besoin pour mettre de la distance entre eux deux, faire le point et s’éclaircir les idées. Car au fond de lui, il était bien présent, tentant de dompter la créature comme l’autre domptait les chevaux dans ses temps libres… C’était la raison même qui avait évité au Rider de se retrouver sectionner en deux un peu plus tôt, alors qu’il tenait les cornes du taureau et que celui-ci avait bien pensé utiliser ses griffes au niveau de son abdomen ensanglanté. Le tout aurait été si facile, si gratifiant pour la bête. Mais, Gordon si était opposé et ça, le rouquin devait s’en être rendu compte. Comme la bête agissait sans réfléchir, une faible hésitation était tout ce dont il avait besoin pour se rendre compte qu’il n’avait pas affaire qu’à une simple bête…

Dans un moment de lucidité, la chose releva la main tremblante de manière à signer un STOP bien ressenti. Le rouquin déjà remonté sur ses pieds, ne put que se figer sous le geste, se demandant probablement à quoi il aurait droit. En réalité, ce qui facilitait la tâche au glouton, c’était la dématérialisation de sa cible, il s’en retrouvait affaibli, perdu et instable… Comment réussirait-il à assouvir sa faim ? Le golem n’étant plus, il était comme une mère pleurant son défunt petit, cherchant à le remplacer pour penser une plaie béante. Seulement, ce ne serait pas aussi facile qu’il ne se l’imaginait.

À ses pensées, la chose réalisa la présence de l’autre voyageur, celui aux lames… Instinctivement, ses quatre pattes de fauve le propulsèrent en direction de l’autre corps inconscient, un festin de choix, facile à attraper…

À mis chemin, Vladimir, toujours aussi chevaleresque le percuta de plein fouet, déviant sa course juste à temps, juste avant qu’il ne puisse refermer ses dents sur le corps inerte d’une nouvelle victime. Enragée, perdant encore une fois le contrôle, la créature planta ses griffes dans le bras de son sauveur qui par malheur avait décidé de l’agripper pour le retenir. Lacérant la peau comme si ce n’était que du papier il faillit bien lui arracher le bras… Ses dents blanches parsemées de rouge s’approchèrent de la jugulaire de celui-ci, mais un coup dans les côtes le sépara de sa cible, enfin… Ce n’était pas peu dire, puisqu’il avait son bras bien agrippé en mains alors que Pooka, en fidèle destrier, venait de sauver la vie de son maitre.

Dans un retour soudain et propulsé par ses instincts animaux plus poussé que jamais, Gordon revint à la charge, frappant au plexus solaire le jeune rouquin avec une force colossale.

C’était assez pour l’empêcher de revenir à la charge, la preuve, le jeune Pooka avait disparu dans un nuage de fumée… Mais désormais, le duo ne se lâchait pas des yeux, jaugeant la performance prochaine l’un de l’autre.

- Eureka !

S'exclamat-il dans un élan d'humanité. À ce moment, dans son élan de lucidité, Gordon reparti en direction de l’autre gars, mais cette fois avec une idée nouvelle. Arrivé sur place, il se saisit de la Boue-Chair et l’avala comme un enfant croquerait dans une sucette.

C’était assez pour briser le charme, l’animal désormais parti, Gordon tomba sur le dos, affaibli par le combat, ressentant enfin l’épuisement dans chacun de ses muscles.

Honteux, il n’osait pas dire un mot, mais son regard se porta instinctivement sur Vlad, toujours accompagné de son cheval guide, qui veillait sur lui en espérant qu’il ne soit pas trop amoché.

Mangé:

En se sentant partir dans les airs, Vladimir laissa échapper les cornes de pierre en desserrant les poings. Le premier choc contre le sol lui arracha un râle douloureux et lui occasionna une nouvelle régurgitation sanglante. Il roula une, deux, trois fois avant que sa course désarticulée dans l'herbe ne s'arrête. En portant mécaniquement la main à son abdomen meurtri, il esquissa une grimace et redressa la tête. Juste à sa droite, le visage d'un des deux mustangs sacrés massacrés. Figé par la mort dans une expression de terreur, il offrit au jeune homme une poussée d'adrénaline qui lui permit de se relever.

« Pourquoi vous vous battez maintenant ? Fit une voix sanglotante derrière lui. C'est fini alors arrêtez, s'il vous plaît... »

Le Great-Rider se retourna. Le messager se tenait là, près des cadavres et des comateux. Il était assis les genoux repliés sur lui-même et enserrés par ses bras. Une position de protection contre quelque chose qui devait relever davantage de la détresse psychologique que la peur de se prendre un coup perdu. L'Invocateur de Chevaux ne répondit pas, préférant penser pour lui-même.

L'une de ses premières nuits dans Dreamland, comme moi. Pourtant il n'était pas prêt pour ça, pour la violence et la souffrance. Est-ce qu'il va surmonter ce genre de traumatisme ? Pourquoi est-ce que je me sens incapable de le protéger de ça ?

Vladimir serra les poings et fusilla le Glouton du regard. Le vieux aurait pu lui faire quand même beaucoup plus mal que ça. Mais il ne l'avait pas fait. C'était donc que le jeune homme avait raison, qu'il y avait une possibilité de le raisonner, d'au moins lui faire prendre conscience de ce qu'il faisait. Cette sorte de malédiction n'était pas une fatalité, il avait toujours les moyens d'exercer un contrôle dessus. Qu'à cela ne tienne, il comptait bien lui faire entrer dans le crâne qu'il pouvait lutter, quitte à se briser les doigts à force de le frapper.

Il était prêt à s'élancer à l'assaut de son adversaire lorsqu'il aperçut ce dernier lever sa patte en pierre griffue. D'abord pris d'espoir, Vladimir réalisa bien vite que cette accalmie était en réalité de courte durée. Il ne fallut pas longtemps avant que l'attention de la goule se tourne vers le corps étendu de Rahim le Hachoir. Poussant un juron au moment où elle bondissait dans sa direction, le jeune homme pris appui sur ses jambes gonflées par le muscle et fusa au contact.

Ce très bref instant durant lequel il effectua les foulées nécessaires à réduire l'écart qui le séparait du Mangeur lui procura pour la première fois une sensation qu'il ne pourrait plus oublier. Le sang se mit à battre à tout rompre au travers des centaines de milliers de vaisseaux qui irriguaient ses membres hybrides. Le souffle lourd, le pas pesant dans l'herbe, il se sentit approcher au plus près du galop équestre. L'espace d'un moment, il toucha du bout du doigt l'émotion perçue par un cheval en pleine course. Et puis il y eut l'impact.

De plein fouet, Vladimir percuta la goule. Il sentit immédiatement une grande partie de ses forces le quitter en émettant une nouvelle gerbe de sang par la gorge et craignit brièvement que ses jambes se dérobent sous lui. Il grogna, força plus que de raison sur ses positions et profita du léger moment de flottement qui suivit l'impact pour enserrer son adversaire de ses bras. Il fallait le maîtriser, lui faire comprendre par la force qu'il n'aurait pas le dernier mot. D'autant qu'en face, le vieux semblait perdre la raison de plus belle et donnait des coups de canines dans le vide en cherchant réellement à lui faire mal. Il y eut un échange de râles entre les deux géants, geignements primitifs qui témoignaient de la violente opposition des forces. Il s'établit brièvement un statut-quo sonore qui troubla la quiétude de la plaine comme si deux des Premiers Hommes se disputaient les faveurs d'une femme.

Les griffes de roche finirent par tracer leur chemin sur l'un des bras du garçon, entamant la chair comme une tranche de steak sous l'action d'un boucher. Vladimir se mordit la lèvre pour retenir un hurlement alors que son adversaire le découpait. En plus de ça, les multiples coups de boutoir occasionné par leur lutte occasionna une recrudescence des douleurs abdominales et thoraciques. Un véritable filet de sang coulait désormais des plaies du Great-Rider et venaient mouiller la fine paroi de roche qui recouvrait le corps de son adversaire. Un coup de mâchoire passa près d'un mou vital, auquel un coude bien placé vint répondre en punition.

Seulement voilà, le déclin des forces de Vladimir devenait incontrôlable, et sous l'action de sa propre attaque, le jeune homme perdit sa connexion avec Alesia. Ses membres retrouvant leur forme initiale, il ne fut plus en mesure de retenir la bête qui elle agrippait son bras sanguinolent avec hargne. Avant qu'un assaut fatal ne vienne mettre un terme à leur affrontement en sa défaveur, le jeune homme invoqua Pooka qui alla s'écraser avec une force rare contre la goule. Celle-ci lâcha prise et fut forcée de reculer de quelques pas, et lorsque l’Équestre Farceur se retourna vers son Rider, un mince trait de sang coulait depuis le haut de son crâne légèrement ouvert. Il affichait à côté de ça une mine à mi-chemin entre la résolution et la colère, une moue boudeuse frappante pour une créature aussi inconsistante que lui.

« J'te laisserai pas mourir mon pote ! Lâcha l'invocation. »

Malgré la situation critique, Vlad laissa son visage se fendre d'un sourire. Il était complètement lessivé, souffrait le martyr de partout et après avoir tâté son bras en sang à l'aide de son membre valide, il comprit qu'il ne pourrait plus compter que sur ce dernier pour continuer. Était-il seulement en mesure de continuer, d'ailleurs ? Sa vision se brouilla alors qu'il portait son attention sur la bête, le poing serré et le visage neutre. Un air de défi auquel la goule répondit sans attendre. Pooka n'eut même pas le temps de s'interposer, Vladimir n'eut pas la force de s'écarter, et le poing de pierre griffu frappa le jeune homme en son centre de gravité.

Le petit pégase fou disparut instantanément. Le souffle coupé, la cage thoracique brusquement comprimée par l'impact, son Invocateur expulsa une quantité d'air anormale qui s'accompagna d'une autre éclaboussure rouge, cette fois plus importante. Le Great-Rider hoqueta, porta sa main encore intacte au niveau cœur et sentit ses jambes flageller. La douleur et l'épuisement le forcèrent à plier un genou à terre. Il se retrouvait dans une position qui exprimait toute sa faiblesse, le bras rouge pendant lamentablement vers le sol et le regard effaré braqué sur l'herbe. Défait, Vladimir releva la tête vers son adversaire qui le braquait lui aussi du regard.

Relève-toi, relève-toi bordel ! Se houspilla-t-il en son for intérieur.

Chaque contraction musculaire provoquée par le mouvement de ses cuisses lui causait un mal de chien, et il ne parvint que péniblement à se redresser sur ses jambes. Il ne comprit même pas lorsque le Glouton prononça quelque chose d'intelligible, tant le sang tambourinait à ses tempes et la douleur l'accablait. Au moment où son adversaire reprit la direction du corps comateux, il se déplaça à sa suite d'un mouvement de pantin, davantage mu par sa volonté de fer que par son énergie à présent réduite à néant. Il arrêta sa course à quelques pas du vieux après que celui-ci ait préféré croquer dans l'arme que dans son détenteur.

Le Mangeur reprit alors sa forme initiale et en s'étalant dans l'herbe il afficha une mine contrite. Le jeune homme ne distingua même pas son expression, celle-ci s'étant perdue au milieu du flou de son champ de vision. Mais dans ce qui lui restait de conscience, Vladimir comprit que son adversaire reprenait sa forme initiale et qu'il était parvenu à surmonter son désarroi. Plus personne n'étant en danger de mort imminente, les derniers débris de volonté qui le maintenaient encore debout s'évanouirent dans le néant. De l'extérieur, le Glouton put observer ses yeux se révulser et le voir chuter tête la première dans l'herbe. La dernière chose qu'entendit Vlad avant de sombrer dans le noir fut la voix de Grani au-dessus de lui.

« Putain, Vlad... ! »

La bataille était enfin terminée et la nuit n’était pas encore terminée. Tout au plus quelques heures s’étaient écoulées depuis le couché des voyageurs, mais pour eux deux, une réelle éternité s’était évaporée. Le petit messager vint voir ses deux sauveurs, les remercia et repartit plus loin. Bien que ceux si ne s’en souviendrait pas puisque tous deux s’était étendus, les yeux clos. Gordon épuisé par son pouvoir et Vladimir par ses efforts…

Seul le petit cheval fut témoin du reste, car un véritable miracle se produisit.

Masutā-Kebukai-Uma, le seigneur cheval de la ruse et de l’envie se présenta à son Rider. Bien entendu, Grani le reconnut sans aucun doute sur sa personne, mais ne comprit pas tout d’un coup.

- Oulla, se que j’ai mis une pagaille monstre encore !

- Putain, Kebukai ! Ne me dis pas que c’est toi !?

- Oui Grani, je n’ai pas pu résister, ce voyageur est venu me voir il y a quelques nuits, cherchant un moyen d’apaiser sa faim, qui aurait cru qu’il me croirait sur parole alors que je lui parlais de la corne d’abondance cavale !

Tout en marquant une pause, le majestueux cheval à tignasse de lion et rayure de tigre s’agenouilla de manière à pouvoir poser sa tête entre les deux voyageurs inconscients.

- J’envie ses humains, ils sont si … Enfantin, tu vois se que je veux dire petit cheval ?

D’un faible coup de museau en douceur, Kebukai toucha à son tour le maitre cavale et le glouton. Versant au passage une larme sur chacun d’eux.

- Je suis peut-être rusé et envieux des autres chevaux, mais je ne suis pas une créature de l’ombre non plus… Tu leur diras que c’est ma faute et que je m’en excuse. D’autant plus que cela m’a permis de tester notre jeune ami. Il n’est pas encore prêt pour moi, mais qui sais, peut-être aura-t-il la chance de me chevaucher un jour…

Bien évidemment, si ce n’était de ce cheval fourbe, rien de tout ceci ne serait jamais arrivé. Il avait fait croire à Gordon deux choses. Premièrement, la présence de la corne d’abondance cavale. Une corne de licorne qui, selon la légende ; une fois retiré du crane de la bête, permettrait de créé divers aliments à volonté, fruit exotique ou boulangerie en passant par la viande et les légumes. Second mensonge, il lui avait dit qu’en éliminant une centaine de chevaux, il pourrait forcer l’arrivée d’une telle créature, défenderesse des lieux, elle serait venue pleurer les corps-morts de ses compagnons.

Le tout, dans le but de voir comment réagirait Vlad, mais aussi de voir s’il était prêt. Pour le seigneur Kebukai, le sacrifice d’une centaine de chevaux n’était rien, il n’avait qu’à placer l’une de ses larmes dans un nuage pour en faire naitre un millier, mais ça, c’était une autre histoire. Quant aux larmes de la bête, elle avait une autre utilité, comme celle des licornes, elle permettait de soigner toute chose en ce monde.

Tout en se relevant, prêt à repartir d’où il venait, Grani lui mordit une oreille, histoire d’attirer son attention !

- Hé ! Dis-moi, avant qu’il ne se réveille, la légende est donc vraie ? La corne se trouve bel et bien ici ?!

Sans trop réagir, le cheval à la crinière jeta un dernier coup d’œil vers le duo paisiblement endormi, une faible lueur s’échappait d’eux, guérissant leur blessure tranquillement.

- Tu mérites bien la réponse, mais seras-tu capable de garder un secret ?

- Oui, bien entendu !

- D’accord, mais même Vladimir doit ignorer cette révélation.

Puis, dans une tornade de poil, le cheval reprit l’apparence du petit messager. Il avait si bien joué la comédie depuis le début que tout le monde n’y avait vu que du feu, puis, d’un mouvement de sa main désormais humaine, il releva la petite casquette sur sa tête, révélant son front au petit pégase. Une fois chose faite, il s’envola et disparut dans les nuages sans rajouter un seul mot.

Sur son front, la cicatrice d’une corne retirée, Kebukai la licorne, le cheval de l’envie, celui qui rêve de retrouver ce qu’on lui a retiré. Il s’était joué des voyageurs, espérant remettre la main sur ce qu’on lui avait dérobé… Voilà pourquoi il avait fait promette à Grani de garder le secret, ainsi il s’assurait que tous ses efforts ne soient pas ruinés pour rien.

Quelques secondes encore et voilà que Gordon et Vlad ouvrirent les yeux, en même temps, telle l’image d’un miroir, les deux hommes regardèrent leur corps, guéri de toutes leur blessure, dans l’impossibilité d’expliquer la chose.

- C’est moi ou le petit cheval peut faire des miracles ?!

S’exclama Gordon, réjoui de se réveiller en pleine forme.

C'est le poids de Grani dans son dos qui fut la première chose consciemment perçue par Vladimir. Ses paupières s'écartèrent lentement à mesure qu'il refaisait surface, offrant à sa vue un petit réseau de fourmis oniriques qui traçaient leur chemin dans la terre au milieu des plantes. Il soupira, posa les mains à plat sur le sol et adopta une position assise en tailleur après s'être redressé. En face de lui, le vieux avait l'air d'être bien présent, aussi ne dit-il dans un premier temps pas grand chose alors qu'il constatait que leurs blessures respectives avaient disparu. Le Glouton exprima alors sa supposition quant aux pouvoirs de Grani, à laquelle l'intéressé répondit immédiatement.

« Nan c'est pas moi qui vous ai rétabli.
- Attends un peu ! Fit Vlad en se relevant. Qu'est-ce qui se passe Grani ? Pourquoi t'es si tranquille avec lui maintenant ?
- C'est parce qu'il n'est pas totalement responsable, en fin de compte.
- Comment ça ?
- J'veux dire, ouais... C'est bien lui qu'a mangé les mustangs sacrés, mais il s'est fait avoir par quelqu'un.
- Qui ?
- Je te disais tout à l'heure qu'il n'y avait aucun Maître Cavale dans la Plaine Céleste, et je le pensais vraiment... D'ailleurs c'était pas totalement faux. Mais c'était pas totalement vrai non plus puisqu'il était que de passage...
- Tu tournes autour du pot, là.
- Ecoute, c'est Kebukai qui est responsable de ce merdier...
- Kebukai ?
- Masuta Kebukai Uma, l'Envieux Moqueur. Le maître trompeur des chevaux de Dreamland, il s'est montré pendant que vous étiez tous les deux dans les vapes. Apparemment, poursuivit-il en parlant assez fort pour que le Voyageur entende lui aussi, il a croisé la route du Dévoreur il y a quelques nuits et l'a induit en erreur en lui faisant croire qu'il pourrait obtenir la Corne d'Abondance Cavale s'il massacrait assez de mustangs sacrés. Bien sûr il s'est foutu de toi, ajouta-t-il cette fois directement à l'intéressé, et il présente ses excuses.
- Ses excuses ? S'étrangla Vladimir. Mais pourquoi est-ce qu'il a fait un truc pareil ?
- Heu... Pour s'amuser, quoi d'autre ? C'est ce qu'il fait, c'est son truc. Il a aussi dit que ça lui a permis de te tester et que tu n'es pas prêt pour lui. Mais ça même moi je le savais déjà donc ça n'excuse rien.
- Sérieusement ? Il a sacrifié sa propre famille pour un jeu, j'ai vraiment pas envie de pactiser avec une créature pareille. Je suis même plutôt partant pour le retrouver et le ramener devant Epona Regina pour qu'elle lui donne une leçon.
- Je suis moi-même un peu retourné d'avoir appris de sa bouche ce qu'il a fait. J'ai du mal à comprendre et quelque part, ça m'affecte d'une façon qui me dérange pas mal. Mais du coup... Ce gars-là a tué les mustangs sacrés dans l'espoir de trouver un moyen de calmer sa faim grâce à la corne. Alors, j'dirais qu'il a tenté de contrôler ses travers. Peut-être pas de la meilleure des façons mais ça pourrait expliquer pas mal de choses. »

Et puis il m'a filé un coup de main en voyant les quatre abrutis s'acharner sur le messager... C'est après que ça a dégénéré. Il est allé où lui d'ailleurs ?

Le Great-Rider regarda autour de lui, constatant que le Voyageur en question était parti. Il haussa les épaules en considérant qu'il ne l'avait pas tiré des griffes de ses bourreaux en quête de gratitude. Il l'avait tout simplement fait parce que c'était dans sa nature. Grand bien fasse au gosse s'il gambadait à présent dans la plaine vers Justicity. Avisant son adversaire en silence pendant quelques instants après que Grani se soit tu, l'Invocateur analysa les traits du visage de l'homme, l'émotion dans son regard, la franchise de sa posture. Finalement, il prit une décision. Machinalement, il esquissa un geste en direction de la poche de sa veste et voulut en sortir son paquet de clopes, mais constata qu'il était vide.

« Ha... C'est quoi la monnaie dans Dreamland déjà, les Essences de Vie ?
- Hé, t'as retenu quelques trucs, c'est pas mal.
- On s'en procure comment ? Tout ce que j'ai trouvé dans mes poches en sortant de la Plaine du Galop-Vent est parti dans les verres de la Dream Box.
- En faisant des petits boulots, en rendant service à des créatures, en vendant des objets trouvés dans les coins dangereux...
- Bon, demain soir j'essaierai de m'en faire un peu. J'vais en avoir besoin si je veux renouveler mon stock. En glissant les mains dans les poches, il s'avança jusqu'au niveau de l'autre Voyageur. Je m'appelle Vladimir, le vieux. Toi c'est comment ? »

Après que son interlocuteur lui ai répondu, il ferma les yeux et le dépassa, esquissant un geste du bras dans les airs pour faire ses adieux. Ce faisant, il continua de lui parler à mesure que ses pas l'éloignaient.

« T'as le pardon du Great-Rider. Garde juste en tête que j'aurai toujours un œil sur toi et que si j'apprends que t'as touché à ne serait-ce qu'une touffe de crinière, je te retrouverai. D'ailleurs, oublie la promesse que t'a faite ce Kebukai, on risquerait de se recroiser dans les mauvaises circonstances et ça se finirait mal. »

Et tandis qu'il partait tranquillement dans la plaine, il lui lança quelques derniers mots.

« J'essaierai de trouver un moyen de calmer ton appétit de mon côté si je peux. Bonne route, le vieux. »

Le gorille ne comprenait pas trop ou voulait en venir son nouvel ami avec la monnaie de ce monde, mais une chose était sur dans l’esprit du glouton, cette fameuse corne d’abondance, elle devait bien exister, si elle n’était pas ici, elle serait ailleurs s’était sur ! Puis, tout en le sortant de sa réflexion, le rouquin se présenta en toute formalité. Il pouvait donc mettre un nom sur ce visage. Vladimir, comme le vampire ?

Le glouton s’éclaircit la voix.

- Moi c’est BigLove. Enchanté Vlad…

Le pardon du Great-Rider ? C’était quoi ce truc ? Finalement Gordon se souvint avoir entendu le garçon s’appeler ainsi. C’était donc comme cela qu’il souhaitait s’appeler le jeunot. Puis, son discourt pris l’allure d’une menace, le mettant en garde de ne plus toucher aux mustangs, d’un certain sens, il avait raison. Manger ses bêtes ne lui apportait rien de bon, le problème s’était qu’il ne pouvait pas contrôler sa faim, s’était beaucoup plus fort que lui. Mais le vieux, puisque c’était ainsi qu’on le percevait, décida d’éviter de parler de ses conditions qui le forçaient à manger. À la place, il lui répondit simplement :

- T’en fais pas, je vais faire de mon mieux, je me suis fait mener en bateau une fois, c’est assez.

« J'essaierai de trouver un moyen de calmer ton appétit de mon côté si je peux. Bonne route, le vieux. »

Ses mots restèrent gravés dans l’Esprit du glouton. Vlad était vraiment un chic type. Le genre à jouer les héros, non pas pour la gloire ou quoi que se soit, mais vraiment pour aider. Les gens comme lui c’était rare, surtout à Dreamland…

Gordon voulut le remercier, mais déjà, il le voyait s’éteindre au loin, derrière lui un soleil couchant qui l’englobait sur sa monture.

- Ouais, tu le mérites bien ton titre mon petit. Great-Rider hein, j’ai l’impression qu’on se reverra.

D’ici là, il devrait trouver une solution à ses pulsions, mais surtout, éviter de croquer dans un autre voyageur…

À ses mots, son ventre gargouilla encore…

Tout en se relevant, Gordon le visage assombri compris se que cela signifiait.

- Que la chasse recommence …

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